Une actualité récente : La découverte d’un cadavre de loup dans le Mont Ventoux (Vaucluse), va me servir d'exemple pour illustrer la rhétorique anti-environnementale du site Kairn.com.
La découverte d’un cadavre de loup
Le cadavre d'un loup a été découvert le lundi 30 janvier par un promeneur, dans la forêt communale de Bedoin, dans le mont Ventoux, à une altitude de 1000 mètres. La carcasse du loup a été redescendu à Avignon par la gendarmerie pour y être autopsié par le laboratoire départemental d’analyse du Vaucluse. Le procureur de Carpentras a été saisi.
Selon la direction régionale de l'Office national de la Chasse et de la Faune sauvage, il s’agit d’un mâle adulte pesant près de 40 kg, en parfait état de fraicheur, présentant deux blessures par balles apparentes. Lors de sa découverte, le sang n'était pas encore coagulé.
L’association FERUS porte plainte
L’association FERUS a annoncé dans un communiqué que « comme à chaque fois dans les affaires de braconnage, elle portera plainte, en espérant qu’une enquête sérieuse soit menée et qu’elle aboutisse, que le responsable de cet acte soit jugé et sévèrement puni. »
Kairn dénonce à mots couverts, un grand complot
Du côté pastoral, le rédacteur de la rubrique « Nature » du site Kairn, Louis Dollo, dans son style habituel, dénonce d’abord le fait pourtant assez logique, qu’une association de défense des grands prédateurs porte plainte pour destruction d’espèce protégée. Pour Kairn, « la grande parade judiciaire débute ».
Car, même si le loup n’a pas été, comme on a pu le lire dans la presse, « criblé de balles » mais tué de deux balles, il s’agit bien d’un nouvel acte délictueux de braconnage d’une espèce protégée en France. Mais, à quelques mois des élections, les espèces protégées, surtout si les électeurs agriculteurs et chasseurs les jugent « nuisibles », « ça commence à bien faire ». (Lire : La drague électorale des chasseurs)
On connaît le peu d’estime que Louis Dollo porte aux agents de l’Etat. Il n’est donc pas surprenant de le voir s’en prendre à nouveau aux agents de l’ONCFS, coupable à ses yeux de ne pas avoir simplement abandonné sur place le cadavre du loup, sans autre forme de procès et de feindre l'ignorance.
Plus original, le guide de pays tarbais s’en prend aussi aux gendarmes. « L’ONCFS et la gendarmerie se sont mobilisés avec sans doute plus d’efficacité que pour courir derrière quelques voyous s’attaquant aux personnes âgées. » Rappelons qu’il a dans le passé effectué son service national au Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Pierrefitte-Nestalas avec un détachement hivernal à Barèges. C’est de là sans doute que vient le fait qu’il cite souvent des sources « proches de l’enquête », qu'il était le premier à publier des informations "exclusives" sur la mort de l'ourse Cannelle et qu'il était un des premiers sur les lieux de la mort de l'ourse Franska.
« Le découvreur n’est pas n’importe qui. »
Et puis vient la rumeur de complot. Pour Louis Dollo, « Le découvreur n’est pas n’importe qui ». Il s’agit d’une découverte effectuée par un « naturaliste » (c'est un gros mot). Et comme il est dit dans le journal qu'en plus le naturaliste « participe à une revue touristique sur le Ventoux », il insinue par ailleurs que celui-ci avait intérêt à « découvrir » un loup tué par balles : « Imaginez la belle affaire ! Une découverte, comme par hasard, par un « naturaliste », immédiatement après le « crime »…. Et sur le bord du chemin probablement décrit pour le guide touristique. En voilà une belle anecdote à raconter dans ce bouquin. Une occasion, comme pour l’ours dans les Pyrénées, de justifier le loup comme « vecteur de développement touristique ».
Louis Dollo déclare imaginer « que le doigt accusateur des associations et ONG environnementalistes va se porter sur les chasseurs et les éleveurs. » Pour lui, il y a un doute évident car « Autre fait troublant. C’est un accompagnateur en montagne, proche de FERUS ou se réclamant comme tel, qui a prévenu une grande chaine de TV du service public en proposant sa version ». Il s’agirait donc d’une nouvelle « provocation ». « Nous avons connu ce type de provocations, pour le moins naïve, autour de la présence de l’ours en 2006 dans les Hautes-Pyrénées et plus récemment en Ariège avec du miel et du verre pilé. Pourquoi ne pas tirer un loup, sur le bord d’un chemin rapidement découvert par un …. naturaliste ? »
Sur de la confiance qu'il croit inspirer dans le milieu pastoral, pour lui, le fait que « les quelques éleveurs que nous avons pu joindre par téléphone et mails nous disent ne pas savoir. Beaucoup ignorait l’information que nous leur donnions. » est une preuve d’un complot monté de toute pièce par un « environnementaliste » proche de FERUS !
« Un de moins » lui auraient dit en cœur les éleveurs, visiblement ravis du braconnage de ce loup dans le Mont Ventoux. « Une réaction qui en dit long sur le ras le bol ressenti par cette profession » justifie Dollo avant de reconnaître, obligé, que « le loup est incontestablement une espèce protégée. Des lois régissent ce statut de protection et doivent être respectées. » Mais la loi l’ennuie, alors il ne peut s’empêcher de rajouter « Néanmoins, le loup n’est pas une espèce en voie de disparition. Le statut de protection strict doit-il vraiment s’imposer ? » Et bien, normalement oui : la loi c’est la loi, partout en France. Sauf dans le milieu pastoral pyrénéen, terre de résistances ou montagnes bananières ?
Dans le même article, Kairn s’en prend :
- à l’Etat, « incapable d’assurer la protection des troupeaux » (et des loups, et des ours?)
- aux pouvoirs publics qui « ne mettent pas tout à plat en toute indépendance »
- aux ONG environnementalistes « ancrées dans leur idéologie sectaire du tout sauvage ».
Pour le rédacteur de Kairn, « les conflits sont la raison d’être d’une multitude d’associations qui deviennent, pour l’occasion, de véritables pompes à fric du néant environnemental » (sic). Les associations environnementales défendent l’environnement et la cohabitation : elles ont tort. Les associations pastorales veulent la disparition des espèces protégées : elles ont raison. La vérité est simple, le problème est binaire. Le ET ne fait pas partie du vocabulaire de Louis Dollo, adepte de la simplification alors que le problème et les solutions sont complexes.
Hypothèses, allusions non vérifiées, stigmatisation des uns, victimisation des autres, conclusions « provisoires », « énigmes posées ». Dollo se vôtre dans la rumeur et les allusions mensongères ou diffamatoires s’il n’y avait l’emploi prudent et perpétuel du conditionnel.
L’utilisation du « Développement durable » dans son argumentation est un véritable blanchiment écologique de l’image du pastoralisme qui devient une pratique culturelle idéale :
- malgré sa non rentabilité économique structurelle,
- malgré le non gardiennage des troupeaux et ses corollaires : sous-pâturage et sur-pâturage qui ne tiennent pas compte de la biodiversité des espèces végétales,
- malgré l’éradication illégale répétée des prédateurs,
- malgré le déséquilibre social et la non embauche de berger pour des raisons économiques,
- malgré le saccage des habitats et le traçage sauvage de pistes pastorales, parfois en zone Natura 2000, pour le confort des trajets en 4X4, conséquence de l’absence de berger.
Malgré tout cela, le pastoralisme est un exemple de « développement durable ». Mais les 3 piliers économique, social et environnemental sont bien branlant. Difficile de croire à ce développement durable là. "Le contrat plutôt que la contrainte" disait Jean Lassalle à l’IPHB, mais avec ce pastoralisme pyrénéen réactionnaire, tout le monde est perdant. Il n’y a ni développement, ni durabilité, ni viabilité, ni éthique, ni bénéfice à répartir, ni emploi créé. Oserais-je dire que ces associations pyrénéennes sont "de véritables pompes à fric du néant pastoral", c'est tentant. Le DD, il ne suffit pas d’en parler pour qu’il se réalise. Ce projet pastoral est perdant pour toutes les parties.
La rhétorique anti-environnementale de Louis Dollo
Dans son livre Green Backlash [«Green backlash - Global subversion of the environmental movement» ; Routledge, Londres, 1996], Andrew Rowell dresse, à partir de nombreux exemples, une synthèse des mouvements de réaction anti-environnementale dans le monde, et décrit les méthodes utilisées par les acteurs qui combattent la protection de l’environnement. On en retrouve tous les traits essentiels dans le discours exemplaire de Louis Dollo. Mais vous pouvez analyser d'autres discours.
Ce discours est articulé autour de quatre volets :
1) Il commence par installer les populations locales (éleveurs, randonneurs, chasseurs, usagers de la montagne) dans la position de victimes et les protecteurs de l’environnement en position de persécuteurs, faisant porter à ces derniers (et à leurs protégés) toute la responsabilité des problèmes sociaux et économiques rencontrés par les populations rurales et par le pastoralisme.
2) Puis il s'attache à récuser les constats scientifiques et à déconsidérer les experts. Les dégâts doivent être indemnisés pour peu qu’un prédateur ait été un jour dans le coin, même en absence du moindre indice de prédation.
3) Ensuite, il propose un concept «nouveau» (inventé par Bruno Besche-Commenge) de gestion des ressources. Un pastoralisme idéal, sans gardiennage, rejetant les espèces « sauvages » au profit d’une biodiversité « domestiquée », controlée, dominée, dite biodiversité « à visage humain ». Elle consiste à partager les espaces protégés (Parc National, estives) avec les acteurs locaux (éleveurs, chasseurs) qui veulent les exploiter économiquement (même si c’est à grands coups de subsides). Elle prône l’utilisation rationnelle de l’espace et des ressources. Ce qui revient à ne pas laisser des activités économiques traditionnelles (même en déficit chronique) comme le pastoralisme, se perdre pour des motifs inutils de protection de l'environnement et de sauvegarde d’espèces "sauvages", évidemment injustement protégées. (Il reste bien des ours, des loups et des vautours dans d'autres pays, mais des moutons aussi que je sache).
4) Ces concepts sont affichés comme «éclairés» dans la mesure où ils reposent sur le principe du Développement Durable. Ces concepts sont «enrichis », ne soyons pas chiche, du pilier « culturel » (la sauvegarde du "Patrimoine d'Ariège Pyrénées", patrimoine uniquement pastoral, de "l’Identité pyrénéenne" (limitée à ceux qui pensent comme eux), auquel il est difficile de s’opposer (Le DD, c'est dans l’air du temps), et «équilibrés» en ce sens qu’ils considèrent la poursuite de la dégradation de l’écosystème à un rythme raisonnable comme le bon compromis entre ceux qui veulent stabiliser la situation de conservation « le retour dans les arbres, le refus du progrès ou des traditions) et ceux qui veulent continuer à exploiter ou transformer les écosystèmes concernés.
5) Sur cette base idéale enfin, les partisans d’une politique claire de conservation (une espèce protégée doit être protégée) qui rende compte de ses résultats et qui dénonce braconnage, immobilisme politique, et opportunisme pré-électoral sont présentés comme des extrémistes (« les khmers verts », « l’écologie punitive », les « escrolos bobos », les « partisans du tout sauvage ») auxquels on attribue souvent des visées cachées, parfois d’extrême gauche (vert dehors, rouge dedans), parfois d’extrême droite, c'est selon (Ils font le lien avec la politique environnementale d’hitler ou avec l'extréme droite franquiste), refusant la croissance (qui est obligatoire, socialement pour l'emploi (PS) ou économiquement pour les actionnaires (UMP) et le progrès scientifique (agricole, nucléaire, chimique), la solution pour sortir des crises.
Dans les articles de Louis Dollo, on trouve de suite ces 5 points. Tous les "non pastoraux" sont diabolisés, stigmatisés : les agents de ONCFS sont incompétants, les gendarmes sont zélés, l’Etat est inefficace, les associations sont procédurières, les naturalistes sont des comploteurs, des tueurs de loups ou des semeurs de pots de miels piégés. Les éleveurs sont bien évidement incompris, méprisés, responsables, résistants, courageux, loyaux, visionnaires...
Dans la BD « Le Génie des Alpages », de F’Murrr, les brebis se posent la bonne question en écoutant un personnage semblable : dépression paranoïaque ou paranoiä dépressive ?
La rhétorique anti-environnementale gagne du terrain en France. On était habitué à la rencontrer du côté des multiples associations pastorales, des lobbies agricoles, industriels, chimiques, pétroliers, énergétiques. Aussi du côté du mouvement CPNT de Nihous, du côté des cadres des associations de chasseurs, mais maintenant, elle est aussi à la tête de l’Etat. "L’environnement, ça commence à bien faire."
La France se moque souvant, incrédule du côté « primaire » des conservateurs américains, un peuple difficile à comprendre, avec ses excès, mais elle suit le même chemin. Négation du réchauffement climatique, écolophobie etc. Les réactionnaires ont de l'avenir. Surtout, ne changeons rien.