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Capitalisme, Liberté et Moralité

Publié le 02 février 2012 par Copeau @Contrepoints

À travers l’histoire, le système de libre entreprise a démontré sa capacité d’adaptation et de renouvellement. Le temps est venu de lui redonner sa chance. À commencer par une autocritique constructive des raisons du désordre.

Par Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature en 2010.
Article publié en collaboration avec l’Institut Coppet

Cet exposé a été fait à l’Atlas Economic Foundation lors du diner de la Liberté à l’occasion du 30ème anniversaire le 9 novembre 2011 à New-York.

Capitalisme, Liberté et Moralité
Le 30ème anniversaire de ce grand champion de la liberté qu’est l’Atlas Economic Foundation coïncide cette année, à quelques jours près, avec un anniversaire d’une importance historique capitale  : la chute du mur de Berlin, le symbole de l’effondrement de l’empire soviétique, le danger le plus grand que la culture de la liberté n’ai jamais eu à affronter. Souvenons-nous, maintenant que la crise économique et financière secouant le monde occidentale provoque pessimisme et sombres prévisions quant à la pérennité d’une société libre, qu’il y a moins de 25 ans, le communisme semblait avoir prit racine sur près de la moitié de la planète et qu’aujourd’hui, avec la disparition de l’Union Soviétique et le passage graduel de la Chine, bien qu’encore totalitaire, vers un régime capitaliste, le communisme n’est plus un concurrent pour la démocratie. Le communisme survit, telle une relique archéologique ancienne, en deux endroits, Cuba et la Corée du Nord, où le collectivisme, l’étatisme et le despotisme semblent comme figés dans le passé et dans l’extrême pauvreté.

Notons également que le communisme n’a pas disparu suite à une guerre ou un quelconque conflit idéologique avec le monde libre. Au contraire, le monde libre semblait résigné à cohabiter avec le communisme et Henry Kissinger lui-même pensait qu’à l’avenir il en serait toujours ainsi. Heureusement, il n’en fût rien. L’effondrement communiste n’advint pas par suite d’une tension avec son adversaire mais plutôt par combustion interne, une implosion qui l’annihila à cause de son incapacité de satisfaire les exigences de bien-être les plus basiques ainsi que du développement économique et de la liberté des peuples alors subjugués.

Néanmoins, cette victoire sur l’ennemi le plus idéologiquement dangereux n’a pas suffit pour que le monde libre continue son triomphe économique et social par le développement, le libre marché et par la consolidation de la démocratie au travers d’une participation citoyenne dans la vie politique et l’amélioration de ses institutions.

En fait, depuis plus de trois ans les sociétés démocratiques subissent une crise économique et financière qui aura provoqué du chômage, aura amené des milliers d’entreprises à la faillite et aura révélé des cas choquants de corruption et de pratiques illégales au cœur même du système. Tout cela a répandu une méfiance dans le grand public envers les banques et les institutions financières internationales. Il n’est donc pas surprenant que l’on trouve dans les grandes villes du monde occidental des lieux de protestations de type « Occupy Wall Street », là où nous entendons, une fois encore, les vieilles diatribes contre l’exploitation capitaliste et les marchés libres qui n’engendrent qu’inégalité et égoïsme tout en augmentant le clivage entre pauvres et riches. Étonnamment, du mouvement des « indignés » et « Occupy Wall Street », l’on pouvait entendre l’appel à de vieilles formules populistes et socialistes pour remédier aux malheurs économiques : à savoir, les nationalisations, une économie contrôlée par l’État et plus généralement, la croissance du secteur publique couplé à la réduction du secteur privé.

J’ai été amené à pas mal voyager cette année et j’ai rencontré un certain nombre de ces mouvements « d’indignés » à Madrid, Paris, Londres, Berlin et tout récemment à Wall Street même. Si on ne devait jamais quitter le circuit de ce monde développé, c’est à dire l’Europe et les États-Unis, l’on pourrait être tenté de penser que le capitalisme est engagé dans un déclin irréversible et que le risque est grand de voir ce système devenir victime à son tour d’une implosion fatale, similaire à celle qui acheva le communisme, pour cause de contradictions internes.

Heureusement, mes voyages m’amenèrent aussi vers l’Asie et l’Amérique Latine. Et là, surprise, j’y trouvai un panorama fort différent de celui qui prévalait dans « l’Europe aux Anciens Parapets » de Rimbaud. Le capitalisme ne semble décidément pas sur le déclin, ni en Asie ni en Amérique Latine. Au contraire : ce système fait montre d’une vigueur et d’une confiance comme jamais par le passé. L’Inde, la Corée du Sud, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie et l’Afrique du Sud possèdent des économies en voie de fort développement, des entreprises privées qui s’engagent et de nombreux investisseurs du monde entier vont vers ces pays, créant ainsi de l’emploi et développant rapidement des classes moyennes. La plupart de ces pays s’ouvrent à d’autres systèmes politiques, abandonnent des pratiques autoritaires et adoptent des coutumes démocratiques. Ils se rendent compte que la liberté n’est pas divisible, autrement dit, il ne peut y avoir de liberté économique sans liberté politique et que le progrès matériel obtenu par une liberté limitée à la sphère économique mais exclue de la sphère politique, n’est autre qu’un progrès en péril, un progrès aux pieds de plomb.

Même la République Populaire de Chine qui s’est essayée à la quadrature du cercle, à savoir le maintien d’une économie libre dans un cadre politique dictatorial d’un parti unique, est contrainte quotidiennement à des concessions en réponse aux demandes de participation de nouvelles catégories de la population qui se sont extirpées de la pauvreté grâce à l’économie de marché, les a instruits et leur a permis d’élever leur niveau de vie.

Pour des libéraux classiques comme moi, il ne fait pas de doute que si l’économie de la Chine continue de croître à ce rythme, elle sera contrainte d’ouvrir plus encore son système politique de la même manière que son système économique.

Le scénario en Amérique Latine est non moins enthousiasmant pour ceux qui pensent comme moi, dans la lignée de von Mises, von Hayek, Friedman, Popper et tant d’autres philosophes de la liberté, que le système de la libre entreprise, la propriété privée, le libre marché et la liberté politique, constituent l’unique système capable d’en finir avec la pauvreté, la faim et l’exploitation. Capable aussi de rendre possible l’avènement de sociétés de bien-être authentique et d’opportunités pour tous. Alors que la tyrannie cubaine traine dans la pauvreté, les gouvernements populistes et pseudo-démocrates du Venezuela, l’Équateur, la Bolivie et le Nicaragua appauvrissent leur pays et les étouffent dans la corruption et la violence, ceux qui ont opté résolument pour la démocratie et l’économie de marché, tels que le Brésil, le Mexique, la Colombie, le Chili, l’Uruguay, le Pérou et d’autres, font l’expérience d’une période exceptionnelle, bien qu’à des degrés divers, de croissance économique.

Quel paradoxe extraordinaire ! Des pays qui, jusqu’à tout récemment, étaient considérés comme modèles émergeants du sous-développement, en sont à souffrir maintenant d’une crise qui, si elle n’est pas prise à bras le corps, pourraient les ramener à un stade de sous-développement comme cela s’est produit en Argentine et en Grèce. Alors que des pays qui récemment encore semblaient incapables d’aller au-delà de leurs limites sont dorénavant sur le chemin du progrès sans être affectés par la grande crise systémique qui sévit en Europe et aux États-Unis.

Qu’est-ce qui a fait, comme l’on dit en espagnol, la tortilla se retourner aussi vite ? Quelque chose de bien simple. Les élèves ont appris la leçon que les maitres ont enseignée mais ont omis d’effectuer les travaux pratiques à la maison, faisant parfois des choses diamétralement opposées à ce qu’ils avaient recommandés à ces pays pourtant déterminés à s’échapper de la pauvreté et le sous-développement. Notamment, qu’un pays ne peut pas dépenser plus qu’il n’est capable de produire, c’est à dire de vivre au-dessus de ses moyens, sans courir le risque d’accumuler des dettes lesquelles peuvent s’avérer potentiellement de nature à détruire le pays même. Que la discipline fiscale et le contrôle de la dépense publique vont de pair avec une économie florissante et une monnaie stable. Que l’activité bancaire et les institutions financières réellement responsables obtiennent leurs bénéfices en étant au service de leurs clients et non l’inverse en spéculant, au bénéfice des dirigeants, avec l’argent qui leur est confié. Que, selon le mot de Milton Friedman, « il n’existe rien de tel qu’un déjeuner gratuit » car des dépenses irresponsables et les gaspillages amènent les pays, les entreprises et les gens à la faillite et la ruine.

La crise qui touche l’Europe et les États-Unis n’est pas la première ni la dernière. De toutes les crises dont ces régions ont souffert, celle-ci aura constitué l’atteinte la plus sérieuse à la moralité. Elle aura révélé, qu’au cœur même de cette crise il y avait un manque grave de valeurs éthiques, il y avait un esprit égocentrique se focalisant sur le profit et rendant aveugles un grand nombre d’honorables cadres d’entreprises et d’entrepreneurs, au point qu’ils agirent avec un manque total de vision et de scrupule et prirent des décisions allant à l’encontre des intérêts de leurs clients ainsi que du système dont ils tirèrent pourtant leur pouvoir et fortune.

Ceci est l’aspect le plus sérieux de la crise et celui qui exigera le plus de temps pour y apporter les corrections nécessaires. En effet, aux dépens des victimes de la crise en général et des contribuables en particulier plutôt que des vrais responsables, les économies des pays touchés se remettront lentement, les prêts vont ramener les entreprises à une santé financière et le système qui crée l’emploi et la richesse repartira. Tôt ou tard, le capitalisme démontrera à nouveau au monde occidental sa créativité et sa capacité d’anticipation.

Mais si l’origine du déclin moral n’est pas cernée, les dégâts continueront à corrompre le système de l’intérieur, minant ainsi ses ressources et le dépouillant d’un consensus favorable, à savoir la confiance et la solidarité d’une majorité de citoyens sans lesquels aucune institution ne peut survivre sur le long terme.

À ce stade, je souhaite partager avec vous les idées et l’exemple d’un grand homme d’affaire, un entrepreneur, un investisseur, un universitaire et un promoteur du système capitaliste, un homme associé à l’Atlas Economic Research Foundation : Sir John Templeton. Je ne souhaite pas raconter l’histoire extraordinaire de la façon dont ce sudiste né à Winchester dans le Tennessee, dans une famille pauvre, réussi grâce à son talent et beaucoup de travail, à étudier à Yale et Harvard et comment, grâce à son sens de l’investissement, sa vision de l’histoire, l’horizon planétaire de sa stratégie entrepreneuriale, allergique au régionalisme et frontières, il fût capable de construire un empire financier dont le Templeton Growth Fund fut le fleuron.

La rumeur rapporte que quiconque ayant mis 10 000 dollars lors de l’établissement du fond d’investissement (1954) aurait possédé presque 3 millions de dollars en 1992, l’année ou John Templeton le vendit. Mais comme je le disais, ce n’est pas cet aspect-là de sa carrière exceptionnelle sur lequel je souhaite m’étendre. Je voudrais plutôt me focaliser sur sa préoccupation passionnée pour les choses spirituelles et religieuses dans sa vie. Il était convaincu qu’une société imprégnée de liberté économique et de respect pour la propriété privée mais manquant de la dimension spirituelle et éthique, était comme un corps sans âme ou encore un robot qui succomberait à la moindre panne mécanique. Pour John Templeton, à l’instar de tant de champions et de théoriciens du libéralisme classique, d’Adam Smith à Karl Popper et Friedrich von Hayek, le fondement le plus solide de la culture de la liberté est d’ordre moral plutôt que matériel. Cette culture repose sur des convictions et des pratiques d’ordre éthique et spirituel. Voilà pourquoi John Templeton fit don de plus d’un milliard de dollars à des organismes de charité et créa nombre de fondations dans le but de promouvoir l’étude des liens entre la religion, la science et la finance et d’inciter à des activités créatives et académiques liées aux défis auxquels le capitalisme doit faire face en ces temps de mondialisation et de révolution des communications.

Plutôt que les problèmes relatifs à la dette accumulée, à un excès de crédit irresponsable, à la bulle immobilière et autres sujets similaires, l’on peut considérer que la racine la plus profonde de la crise financière affectant l’Europe et les États-Unis, est en lien avec le non-respect de la préoccupation principale de John Templeton : les fondements spirituels et éthiques ainsi que les valeurs morales qui font respecter le capitalisme.

C’est une erreur de défendre le système de libre entreprise et de libre marché en termes économiques exclusivement. Il est bien évidemment exact de dire que grâce à ce système, la richesse s’est répandue de façon spectaculaire sur la planète entrainant dans son sillage le progrès matériel et le bien-être.  Mais ceci est une conséquence plutôt qu’une cause. Le capitalisme a libéré de l’esclavage et de la servitude, sous lesquels en des temps anciens étaient maintenus les êtres humains, condamnés à travailler du lever au coucher du soleil, sans droits ou salaires ou autres avantages de quelque nature. Les seigneurs féodaux traitèrent parfois leurs travailleurs avec moins de compassion que leurs animaux domestiques. La vie devint plus humaine avec l’émergence des commerces et de marchants indépendants, d’un système de propriété privée, liberté de commerce et de libre marché. Sans tout cela, l’individu autonome n’aurait pas vu le jour et ceci s’applique également au concept selon lequel les individus ont des droits inaliénables et sont égaux devant la loi. Tous ces progrès peuvent être résumés en un seul mot : liberté, un mot qui dans chaque domaine d’application, politique, économique, social et culturel, aura généré des opportunités, introduit des changements et des valeurs qui conduisirent la civilisation humaine vers des objectifs de développement qui auraient été simplement inconcevables à nos ancêtres.

Bien sûr, je n’ai pas oublié que la Chrétienté joua un rôle primordial dans ce processus consistant à rendre la société plus humaine. Malgré le manque de confiance et l’hostilité occasionnelle qu’aura manifesté l’Église envers le capitalisme. En fait, c’était plutôt envers la croissance incontrôlée de la richesse. La vérité historique est que ce système, avec sa forte capacité de créer de la richesse et la formidable incitation à la recherche scientifique et technologique, aura contribué plus que tout autre système à arracher l’humanité à ce que Karl Marx a appelé le « crétinisme de la vie animale ». En d’autres mots, pour sauver le monde de l’immobilisme et de la faim, maux qui périodiquement décimèrent l’humanité pendant une bonne partie de son histoire. Ce fût une extraordinaire contribution que celle de promouvoir les fondements éthiques d’une action juste et d’inciter l’individu à vaincre l’obstacle qui l’empêchait d’avoir une vie digne. Voilà comment, dès ses balbutiements, le système capitaliste fut imprégné de valeurs éthiques et spirituelles.

Dans le domaine de la science elle-même, la liberté d’entreprise et le libre marché ont été, et encore aujourd’hui, le moteur de la recherche et de découvertes qui éliminèrent la plupart des maladies qui dévastèrent, et parfois menacèrent d’éradiquer complètement, le genre humain.

Le capitalisme a généré les conditions, les inventions et les mécanismes qui ont amélioré la qualité de vie que nos grands-parents auraient trouvé tout simplement pas imaginables il y a à peine quelques décennies.

Voilà pourquoi, il y a peu, des millions de gens ont porté le deuil de ce grand visionnaire et entrepreneur Steve Jobs dont les innovations et contributions ont révolutionné le domaine des communications. Cet hommage était adressé à un homme de génie, co-fondateur d’Apple bien sûr, mais aussi au système qui a rendu possible cette extraordinaire destinée.

La démocratie elle-même, en d’autres mots, le système politique dont l’objectif est de pourvoir les plus grands bénéfices à la société par une réduction de la violence, permet le changement de gouvernement dans la tranquillité et la coexistence de citoyens très différents l’un de l’autre, représente ainsi la meilleure défense pour contrer l’abus de pouvoir étatique. La démocratie est inséparable du système capitaliste que constitue le respect de la propriété privée et le libre marché. Tout cela fourni une justification morale et spirituelle plutôt que matérialiste et pragmatique. Les Pères Fondateurs des États-Unis étaient très conscients de tout cela, expliquant le droit des citoyens de poursuivre le bonheur comme valeur centrale de la République et de sa constitution.

En faisant allusion à la poursuite du bonheur, et non au bonheur en lui-même, ils démontrèrent que le bonheur est quelque chose de personnel et privé, c’est un concept dont le contenu peut varier largement selon l’individu et la culture, comme quelque chose qui ne doit pas être imposé aux citoyens par les États et les gouvernements. La seule responsabilité de l’État est de bâtir un cadre à l’intérieur duquel les libertés peuvent s’exprimer ou encore ouvrir la voie aux opportunités qui permettent aux individus de poursuivre, ou plutôt de créer, leur bonheur.

Le concept philanthropique et altruiste du capitalisme des Pères Fondateurs des États-Unis ne correspond pas au spectacle offert au monde récemment, suite à la crise majeure qui s’est abattue sur le monde occidental. On pourrait plutôt dire que les acteurs les plus visibles de ce spectacle se concentraient de leur mieux pour ressembler à la caricature que leurs détracteurs se faisaient d’eux. Ils n’étaient certes pas ces chefs d’entreprises qui créèrent de l’emploi et de la richesse façon Steve Jobs mais plutôt des spéculateurs égoïstes capables de mener leurs partenaires et leurs clients ainsi que leurs entreprises financièrement à la ruine tant ils étaient aveuglés par leur quête de profits. Ceci ne correspond pas à l’image du développeur de projet à long terme, guidé par le désir de progrès pour lui-même mais aussi pour ses proches, ses collaborateurs, sa ville, son pays et son époque. Au lieu de cela, nous avons été témoins d’actes commis par des individus impatients et voraces, animés par une envie de profit facile, prêts à sacrifier le futur pour un avantage immédiat mais fugace, tournant le dos à quiconque, même à ceux qui leur faisant confiance, parfois à la société tout entière et même au système, celui-là même qui leur permit d’atteindre leur position.

Voilà comment nous sommes parvenus à une situation sans précédent, laquelle peut être résumée comme suit. Précisément lorsque son plus dangereux ennemi, le communisme, allait en se décomposant, vaincu par ses contradictions internes, le système capitaliste, au lieu de faire valoir les preuves qu’il était bien le meilleur système pour garantir la « sainte trinité », selon le mot de von Hayek pour définir le moteur de la civilisation : la propriété, la loi et la liberté, commença à se délabrer, victime d’un poison que son système immunitaire a laissé se développer au lieu de l’attaquer et de l’éradiquer. Le capitalisme aura ignoré cet aspect précis de sa nature que d’autre grands entrepreneurs de notre temps, en plus de John Templeton, tels que Bill Gates et Warren Buffet lesquels ont investi un part considérable de leur vaste patrimoine en aide humanitaire : l’importance toute particulière qu’ils attachèrent à la dimension morale et spirituelle du capitalisme.

Pour ceux d’entre nous qui croient et défendent le système capitaliste, il y a une vérité que nous ne pouvons ignorer. Alors que ce fût le système le plus efficace pour assurer une bonne répartition des richesses, pour percevoir et satisfaire les besoins et demandes potentiels qui apparaissent dans la société, gratifier de plus de justice quiconque effectue un travail bénéficiant au plus grand nombre, le capitalisme développe un appétit pour des biens matériels – le consumérisme – et pour accumuler les richesses lesquelles ne sont pas une mauvaise chose tant que l’on reste en-deçà d’un cadre légal respectable et respecté. Au contraire, pour autant que la loi soit respectée, les biens matériels constituent une excellente incitation à maintenir le système en fonctionnement puisque ces biens encouragent l’invention et la création de nouveaux produits, augmentent la compétitivité et créent des modèles et paradigmes lesquels génèreront une saine émulation parmi les plus jeunes.

Il existe néanmoins une limite, difficile à déterminer, où la vertu devient vice et où la profonde aspiration au succès évolue vers une forme d’avidité, une faim de profits, une passion qui aveuglera quiconque en est dominé, incitant à aller au-delà des limites de la loi, à agir au détriment des autres autant que du système lui-même. Il n’est pas suffisant de dire que le problème est tenu pour résolu et que le système est à l’abri si un gouvernement respecte et intervient rapidement dans les cas d’infractions et en envoyant les fautifs au tribunal. Ce problème pourrait être résolu si ces cas étaient rares et constituaient l’exception à la règle, mais pas lorsque cette attitude se produit souvent à la manière d’une infection contaminant jusqu’au système lui-même.

Malheureusement, c’est bien l’impression que laisse la dernière crise impliquant les banques et les institutions financières, dont les dirigeants se sont protégés eux-mêmes au moyen de privilèges exorbitants pendant que les entreprises allaient à vau-l’eau, liquidant les fonds que leurs déposants avaient confié à ces dirigeants lesquels ensuite cherchèrent leur salut auprès des contribuables.

Bien sur, pour que ce scénario se produise à l’échelle que l’on a vu, il a dû y avoir négligence ou complicité de la part des entités responsables, sensées maintenir un contrôle sur le bon fonctionnement du système et empêcher tout débordement. Mais faire porter le blâme sur un petit nombre d’incompétents ou de fonctionnaires malhonnêtes dans cette catastrophe qui aura mis des millions de gens au chômage et aura causé la faillite de beaucoup de petites et moyennes entreprises, est une erreur majeure.

L’échec ne provient pas des gardiens du système mais plutôt du système lui-même qui aura laissé libre court à des distorsions du marché, lesquelles ont miné le système de l’intérieur, le plongeant ainsi dans une récession généralisée.

Ce qui a flanché n’est pas seulement les mécanismes d’autocorrection du système, les institutions qui devaient tenir compte des alarmes et responsables de l’administration des antidotes nécessaires, mais plutôt les fondements éthiques et spirituels qui permettent aux entrepreneurs ainsi qu’aux fonctionnaires, de distinguer entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, de reconnaître entre une conduite légitime et ce qui discrédite tout le monde et provoque des nuisances pour les autres.

Notre culture est devenue tolérante vis à vis de ceux qui sont poussés par un irrépressible désir de profit, sans respect pour la loi. Les responsables ont été exonérés de leurs néfastes actions et même parfois ont été récompensés par un État qui sauva des entreprises de la ruine causée par leurs excès. Ceci n’est pas du capitalisme mais plutôt une profonde distorsion du capitalisme, capable de nous faire régresser de la civilisation vers la barbarie.

À travers l’histoire, le système de libre entreprise a démontré sa capacité d’adaptation et de renouvellement. Le temps est venu de lui redonner sa chance. À commencer par une autocritique constructive des raisons du désordre. Dans le cas présent, il faut pointer la complaisance et la tolérance de ceux qui ont outrepassés les règles du jeu établies par la loi régissant le marché et la libre concurrence. Ces gens devraient être poursuivis et punis pour tout cela. Deuxièmement, il faut engager sans concession un effort total en vue de faire retour à un système dont la dimension éthique est sa principale justification.

Cela implique l’idée que, bien plus qu’un agglomérat de règles économiques, le capitalisme est une culture inspirée de valeurs puisqu’il est basé sur le respect de la liberté, de la justice et de la légalité, lesquelles ont conduit vers plus de progrès humain, en termes matériels ainsi qu’en termes de dignité, de compassion, d’opportunités, de respect des autres, de solidarité et de générosité. Il a été dit, c’est assez vrai, que la liberté et la justice, cette deuxième notion comprise dans sa dimension sociale, se repoussent l’une l’autre. À travers l’histoire, la grande réussite de la doctrine du libéralisme classique a été de remplacer cette mauvaise entente par l’harmonie entre ces deux notions sachant que ce que nous appelons civilisation consiste justement en leur réconciliation et leur coexistence.

Ceci est certes une tâche difficile mais pas impossible. Nous devons nous y atteler avec à l’esprit la conviction que nous défendons un système qui, malgré ses imperfections, est meilleur que tous les autres qui ont tenté de le remplacer. Ces systèmes ont promis le paradis sur terre et à chaque fois, cela a été plutôt l’enfer. Retournons vers plus de démocratie politique et de liberté économique assorties de cette conscience morale qu’était la notre aux meilleurs moments de notre histoire, quand le progrès et la culture ont atteint leurs sommets les plus hauts.

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Sur le web
Traduction : Emmanuel d’Hoop de Synghem pour l’Institut Coppet.


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