Responsabilités floues autour du Costa Concordia

Publié le 02 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Si la responsabilité du capitaine du Costa Concordia semble claire, d’autres responsabilités, en revanche, sont plus compliquées à établir.

Par Richard North, depuis Bradford, Royaume-Uni

Pier Luigi Foschi, le PDG des Croisières Costa, semble être plutôt soucieux de marquer la différence entre lui et son délinquant de capitaine, Francesco Schettino. Il a, selon Reuters, suspendu Schettino de ses fonctions et l’entreprise s’est déclarée victime. Ils n’étaient pas au courant des pratiques dangereuses qui impliquaient le cabotage des navires près du rivage pour, disaient-ils, permettre aux touristes d’admirer la vue.

Mais il se pourrait que Foschi proteste trop. Même si c’est un fait avéré que Schettino a dirigé son navire trop près des rochers, il se pourrait aussi que ce ne soit pas entièrement de sa responsabilité si, comme on l’a avancé, la société connaissait la pratique qui consiste à naviguer près de l’île toscane de Giglio et n’a rien fait pour l’en empêcher.

Cependant, bien que le capitaine doit assumer toute la responsabilité de l’accident du navire Costa Concordia sur les rochers, il faut se rappeler qu’il y a eu beaucoup d’étapes séparées et bien distinctes qui ont conduit à l’incident final. La collision avec les rochers est l’une d’entre elles – le chavirement du navire en est une autre entièrement distincte.

Et tandis que la société peut réussir à se distancier de la collision, elle aura plus de difficultés à renier la responsabilité qui sous-tend le chavirement ultérieur. Comme indiqué dans un de mes premiers articles, il se peut qu’il y ait des défauts de conception qui ait causé le chavirement du navire, rendant la catastrophe bien pire qu’elle aurait dû être.

Le problème dans ce cas précis c’est que des navires du type du Costa Concordia ne sont pas censés chavirer. Bien qu’ils semblent super lourds, ils sont en fait extrêmement stables. Ainsi, la philosophie du règlement stipule que le navire devrait rester intact et debout dans l’ensemble des situations à part les cas d’incidents les plus extrêmes. Car même dans ces cas-là, le navire devrait devenir – comme le dit le proverbe – son propre bateau de sauvetage.

Mais la possibilité qu’il y ait eu effectivement un problème est attestée par le chavirement lui-même. On peut distinguer hors de l’eau le trou dans la coque. Il devrait être sous la mer, comme l’a fait remarquer le professeur Philip Wilson de l’Université de Southampton. « C’est bien là où l’eau se précipita » dit-il. « En d’autres termes, le navire semble s’être couché du mauvais côté ».

Cette interprétation semble encore renforcée, peut-être inconsciemment, par une déclaration de la Commission Européenne sur le Costa Concordia, une semaine après l’incident. Elle nous rappelle que, malgré la législation nouvelle concernant la sécurité des navires promulguée en 2009 — à savoir la directive 2009/45/CE — la Commission a mis en place un an plus tard une autre vérification de la sécurité des navires de passagers, afin de s’assurer que la législation «va de pair avec les dernières évolutions en termes de conception, procédures opérationnelles et technologie».

La question qui se pose immédiatement est de savoir pourquoi une telle révision est nécessaire si l’on a confiance dans l’à-propos des législations actuelles. Mais la déclaration de la Commission éveille les soupçons du fait qu’elles pourraient finalement ne pas s’avérer adéquates.

Fondamentalement, nous constatons que la Commission indique qu’elle doit examiner et mettre à jour les règles actuelles encadrant la stabilité des navires de passagers. En particulier, elle rappelle, que cette vérification concerne les navires, endommagés et/ou exposés à de mauvaises conditions météorologiques.

C’est bien la question de la soi-disant clause de «stabilité après avarie» des grands navires de passagers qui est posée et qui doit en particulier faire l’objet d’un réexamen étant donné que les normes actuelles remontent aux règlements de l’OMI [ndt Organisation Maritime Internationale, en anglais IMO] de 1993. C’est-à-dire avant qu’ils aient entrepris les travaux actuels sur la stabilité des navires endommagés.

L’UE elle-même a eu l’occasion de remettre à jour en 2009 les exigences légales concernant la stabilité des navires en cas de dommages, et cela en relation aux recherches qu’elle avait financées. Mais ces règles ne sont applicables qu’aux navires battant pavillon d’États Membres de l’Union ou encore aux navires qui sillonnent les eaux des États Membres de l’Union -– ce qui laisse le reste du monde sous une législation plus ancienne et aux conditions du code OMI certainement moins exigeantes.

Il ressort de l’examen législatif que l’UE est réticente à aller plus loin que les normes de l’OMI, par peur d’entrainer la migration des navires exploités par des membres de l’UE vers les nations qui naviguent sous des pavillons de complaisance.

Mais même sans cela, la concurrence pour le marché lucratif des croisières est globale, ce qui placerait les navires de l’UE, obligés de se conformer à des législations plus couteuses et qui sillonnent la Méditerranée, dans une situation commerciale désavantageuse vis-à-vis des navires de croisière sous registre américain qui sillonnent les caraïbes. Les clients sont motivés autant par leur prix que par leur emplacement.

L’OMI a, en fait, travaillé sur la mise à jour de ses propres règlements depuis 2000 mais n’a pas encore abordé les questions de la stabilité des larges navires à passagers dans les conditions d’avarie.

Il semblerait que l’incident du Costa Concordia ait réveillé tout le monde. «L’OMI ne doit pas prendre cet accident à la légère», affirme-t-elle. «Nous devrions envisager sérieusement les leçons à en tirer et, si nécessaire, revoir la réglementation sur la sécurité des grands navires de passagers à la lumière des conclusions de l’enquête sur les victimes» peut-on lire dans leur déclaration officielle.

Il semblerait donc que les règles de sécurité soient très loin d’être suffisantes. Mais la grande question qui reste posée est de savoir si les propriétaires du Costa Concordia le savaient – ou auraient dû le savoir.

Appartenant au Carnival Corporation –- qui est le plus grand opérateur mondial de croisières –, il semble inconcevable que personne ne sache rien. Et étant donné que ça pourrait être le cas, nous pourrions retrouver Pier Luigi Foschi dans le box des accusés, à moins que la conformité à la réglementation soit suffisante pour recevoir l’absolution, ce qui permettrait une fois de plus au flou artistique de voiler l’enchaînement des responsabilités.

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Sur le web
Traduction : JATW pour Contrepoints.