Où vont les fonds récoltés par les industries qui nous inondent de produits rose? Combien reversent-elles réellement pour la lutte contre le cancer du sein? Certains de ces produits ne sont-ils pas, de surcroît, nocifs pour notre santé? Peut-on réellement garder une positive attitude alors que tant de femmes en meurent chaque année? … La réalisatrice québécoise, Léa Pool, nous oblige à nous interroger dans un très beau film documentaire “l’industrie du ruban rose” qui sort demain sur les écrans canadiens.
Touchée comme nous tous par des amies atteintes d’un cancer du sein, Léa Pool n’avait cependant aucune idée préconçue sur le sujet. Contactée par une productrice de l’ONF, elle s’est donc mise à enquêter sur cette vague rose qui nous submerge pour finalement réaliser un film dans lequel elle lève un pan du voile.
On y apprend enfin qui a réellement crée ce ruban rose que l’on attribue bien souvent à Estée Lauder? En fait le mérite en revient à Charlotte Haley, vieille dame qui a accepté de témoigner dans le documentaire de Léa. En 1992, inspirée du ruban rouge symbole de la lutte contre le sida, elle fabrique des rubans couleur pêche qu’elle distribue dans les épiceries dans un carton sur lequel on peut lire :” le budget annuel du Cancer Institute est de 1,8 milliard de dollars, seulement 5% de cet argent va à la prévention du cancer. Aidez-nous à réveiller nos législateurs en portant ce ruban.” Approchée par le magazine Self et Estée Lauder, elle refuse de s’associer à leur campagne leur rétorquant que ce qui les intéresse c’est uniquement de vendre leurs produits ! Les avocats d’Estée Lauder contournent le problème en en changeant la couleur et le ruban rose naît, le rose si mignon et si féminin ! Malheureusement, il faut bien le dire, la prévention n’a jamais plus été associée au ruban et on apprend que seulement 15% de ces millions récoltés sont destinés à la prévention de ce cancer qui pourtant touche aujourd’hui une femme sur 8 contre une femme sur 22 dans les années 1940!
La réalisatrice nous démontre aussi que ce symbole de la lutte contre le cancer a été volé par de cyniques industriels : papier toilette, junk food, essence et même armes … se parent de rose au mois d’octobre. Or, certaines de ces entreprises, à grand renfort de publicité, gagnent des sommes colossales en nous vendant des produits jugés eux mêmes responsables de l’épidémie : paraben dans les produits de beauté, poulets élevés en batterie, lait de vache contaminé, champignons bourrés de pesticides … Une manière de se racheter une conduite et de détourner notre attention ! Les américains ont donné un nom à ce peu scrupuleux marketing rose, ils appellent ça le “pinkwashing”.
Et puis qui s’interroge en achetant ces produits sur la part réelle reversée aux associations? Bien trop souvent quelques dollars iront à la cause pour un objet vendu 300 fois plus! Quels organismes en bénéficient ? Où va réellement notre argent? Entendons nous bien, Léa Pool ne veut absolument pas que les gens cessent de donner mais elle s’interroge là encore : pourquoi ne pas offrir nos dons directement à l’association de notre choix plutôt que d’enrichir des entreprises plus intéressées par leurs chiffres de vente que par notre cause?
Enfin le rose est devenu rose bonbon, s’insurgent certaines dans le film ! On pare de bonne humeur les manifestations contre le cancer du sein à grands renforts de ballons, musique assourdissante et pensées résolument positives. Et on en oublie les femmes qui ont perdu la bataille en glorifiant celles qui l’ont gagnée. Pour nous interpeller un peu plus Léa Pool a filmé des scènes avec des malades en phase terminale les alternant avec des scènes de courses résolument festives. “Ce cancer n’est pas sympathique” nous rappelle Léa Pool, reprenant à son compte l’idée de Samanta King qui parle de la “tyrannie de la bonne humeur” dans son livre “Pink Ribbons Inc – Breast Cancer and the Politics of Philantropy”, ouvrage qui a largement inspiré la réalisatrice.
“Dans mon film, je ne dis pas que tout ce qui est lié au ruban rose est croche et corrompu, ajoute Léa Pool. Il y a de l’argent qui est ramassé pour la recherche et ça, personne ne peut être contre. Mais j’en ai contre les dérapages... Nous devons exiger plus de transparence des organismes qui collectent les fonds, plus de coordination et moins de compétition des laboratoires de recherche. Faire pression pour qu’une part plus importante de fonds aille à la prévention. Faire attention au vocabulaire et démontrer plus de respect envers celles qui ne gagneront pas le combat. L’espoir pour moi, ce n’est pas de tout peindre en rose et de se mettre un ruban rose sur les yeux pour ne pas voir la réalité. L’espoir, c’est de poser des questions et de lancer le débat. ” nous dit Léa Pool dans un article de la presse.ca.
Et voici, la bande annonce du film :
Un excellent documentaire, qui va nous permettre de nous interroger sur les dérives et dérapages de cette déferlante rose. Ce film pourrait s’inscrire dans un grand débat sur la représentation du cancer du sein dans les médias. L‘association “au sein de sa différence projette d’ailleurs de créer un événement autour de sa venue en France et même, pourquoi pas, participer à son arrivée chez nous. L’occasion de nous retrouver pour nous interroger à notre tour sur ces pratiques qui ont “commercialisé notre espoir” .
Catherine Cerisey