Avez-vous fait des crêpes pour la Chandeleur ? C'est une des coutumes de la vieille France, que, le 2 février, jour de la Chandeleur, on fasse des crêpes dans l'âtre du laboureur et que chacun doive retourner la sienne. En certaines provinces, la tradition des crêpes a survécu ; mais les enfants du village ne vont plus aux portes des métairies, quêter, un cierge ou une chandelle à la main, en chantant :
Bonjour, la compagnie !
Pour Dieu, nous vous prions
De nous donner sans faute,
En votre dévotion,
De quoi lui faire un cierge
Pour cette Chandeleur
Posé devant la Vierge.
Ça lui fera bonheur?
"A la Chandeleur, dit Abel Hugo, si les paysans ne faisaient point de crêpes, le blé de l'année serait carié. Et celui qui retourne sa crêpe avec adresse, qui ne la laisse point tomber dans les cendres, ou qui ne la rattrape point dans la poêle sous la forme navrante de quelque linge fripé, celui-là aura du bonheur - de l'argent, cette forme tangible du bonheur - jusqu'à la Chandeleur de l'année suivante.
Qu'elle est jolie, cette coutume des crêpes ! Le laboureur de France, qui bat sa farine pour en faire de légères pâtes dorées, qu'il retourne avec soin afin que le blé de la moisson prochaine soit bon et lourd, se doute-t-il qu'il continue à rendre, comme le firent ses lointains ancêtres, un hommage à Cérès, déesse des moissons ?
Ce serait, en effet, à cette époque de l'année, prétend-on, que Cérès, folle de douleur après l'enlèvement de sa fille Proserpine, se serait mise à sa recherche, et aurait allumé des torches sur le mont Etna. Ces torches seraient devenues des cierges que naguère encore on échangeait ce jour-là.
On cite, depuis que la Chandeleur existe, des "parties de crêpes" dont quelques-unes sont fameuses.
Avant de partir pour la campagne de Russie, Napoléon, fêtant la Chandeleur, faisait une partie de crêpes. Arriva son tour de tenir la queue de la poêle.
"Si je retourne celle-ci, dit-il, je gagnerai la première bataille !"
Et la crêpe se retourna, ronde comme une lune dorée.
"Si je retourne cette autre, je gagnerai la deuxième..."
Et de nouveau la crêpe tournoya comme une belle pièce neuve.
La troisième fit de même ; quant à la quatrième, elle roula dans la cendre.
Celle-là, c'était la néfaste la bataille de la Bérésina !
Peut-être, durant l'incendie de Moscou qui marquait le début de sa chute, l'empereur se rappela-t-il la quatrième crêpe du palais des Tuileries.
Article publié en 1912