2 février 1709 : le véritable Robinson Crusoé est secouru

Publié le 02 février 2012 par Quiricus

L'aventure du boucanier écossais Alexander Selkirk, est suffisamment extraordinaire pour ne pas mériter de fioritures.
Ce qu'il raconte, en ce matin du 2 février 1709, aux marins qui le tirent de son isolement les laisse abasourdis. La veille, leur navire, commandé par le capitaine Woodes Roger, jette l'ancre devant une île de l'archipel Juan Fernandez, au large du Chili. C'est un équipage de boucaniers, autrement dit de pirates, qui pille les bateaux et les possessions espagnols avec la bénédiction de l'Angleterre. Une pinasse se rend à terre pour faire provision d'eau. Le soir venu, des lumières sont visibles sur la plage. Un navire français ? espagnol ? Branle-bas de combat ! Mais il apparaît bientôt qu'elles ont été allumées par un homme vêtu de peaux de chèvres, complètement ensauvagé, ayant perdu la pratique de la parole. Bientôt, il donne son nom : Alexander Selkirk, né en Écosse, débarqué sur l'île quatre ans et quatre mois auparavant par un autre boucanier, le capitaine Thomas Stradling. Nourri, vêtu, celui qui inspirera Robinson Crusoé à Daniel Defoe commence à raconter son histoire aux marins ébahis.
Tout commence en 1703 quand, à 27 ans, il rejoint l'équipage de Stradling comme pilote. Durant deux ans, l'équipage écume le Nouveau Monde, dépouillant les Espagnols de leur or. Aucun trafic d'esclaves à l'horizon ! En octobre 1704, Stradling quitte la flotte des boucaniers pour faire route seul vers la côte chilienne. Mais le navire est en si mauvais état que Selkirk craint qu'il ne soit pas capable de franchir le Cap Horn. Aussi demande-t-il au capitaine de mettre rapidement le cap sur un port pour réparer. Celui-ci l'ignore. Selkirk insiste. Le ton monte entre les deux hommes. Grande gueule et forte tête, le marin écossais menace de débarquer sur l'ile de Mas-a-Tierra de l'archipel Juan Fernandez, devant laquelle ils viennent de jeter l'ancre. Il tente d'entraîner le reste de l'équipage dans sa révolte. Mais personne n'ose ne se ranger derrière lui, alors Stradling le prend au mot en le débarquant, seul sur la plage. Pas de naufrage comme dans Robinson Crusoé ! Selkirk a beau faire signe qu'on revienne le chercher, le capitaine est trop content de s'être débarrassé d'un emmerdeur capable de déclencher une mutinerie à bord. À son grand désespoir, le marin voit le navire disparaître à l'horizon. Un abandon qui lui sauve la vie ! En effet, quelque temps plus tard, le bâtiment ne résistera pas à une tempête et coulera, entraînant son équipage de forbans en enfer.
Mais le pilote abandonné ne peut pas le savoir. Alors le voilà gros Jean comme devant, sur une plage inconnue, avec des dangers qui rôdent un peu partout. Durant les premiers jours, il traverse une terrible période d'abattement, puis il s'organise peu à peu. Ce salaud de capitaine ne lui a même pas laissé un sac de riz comme dans Koh Lanta. Cependant il n'est pas totalement démuni. Avant de s'éloigner, les marins lui ont jeté un fusil avec un peu de poudre, des balles, du tabac, une hache, un couteau, une bouilloire, une bible, d'autres livres, et ses instruments de mathématiques pour naviguer. Notre Robinson écossais bâtit deux huttes, confectionne des ustensiles en bois, tue des chèvres abandonnées dans l'île par de précédents visiteurs. Il mange des huîtres, de grosses langoustines. Pour se défendre des rats qui lui rongent les pieds durant son sommeil, il domestique des chats retournés à la vie sauvage. Pas grand-chose lui manque, finalement, sinon un compagnon. Pas de Vendredi pour lui tenir la main, seules des chèvres lui rendent aimablement service quand le manque de femme se fait trop cruel... C'est en tout cas ce qui se dira lors de son retour. Après deux ans de solitude, l'abandonné aperçoit un premier navire qui jette l'ancre devant l'île. Malédiction, ce sont des Espagnols. Il craint d'être tué ou transformé en esclave, aussi se cache-t-il des marins en grimpant en haut d'un arbre. Avant de partir, ceux-ci détruisent son camp. Mais de cannibales, pas la queue d'un !
Enfin, le 2 février 1709, après quatre ans et quatre mois de solitude (et pas 28 ans !), le navire anglais de Woodes Roger jette l'ancre devant l'île Mas-a-Tierra. Selkirk est sauvé. Peu à peu, il se refait une santé, il retrouve la parole et ses réflexes de marin. Au cours des deux années qui suivent, il combat sous les ordres du capitaine Roger qui lui finit même par lui confier le commandement d'un de ses navires. Quand il regagne l'Angleterre, sa part de butin le rend riche. Un journaliste raconte son histoire, et le capitaine Roger publie son journal de bord, dans lequel il a couché toute l'histoire de Selkirk. C'est sans doute à cette époque que Daniel Defoe s'en inspire pour rédiger son Robinson Crusoé. Le véritable Robinson, lui, reprend la mer en 1720, à 44 ans, comme officier à bord d'un vaisseau de guerre anglais partant combattre les pirates du golfe de Guinée. Selkirk périt l'année suivante, après être tombé à l'eau lors d'une tempête, à moins qu'il n'ait été victime de la fièvre jaune. On ne le sait pas trop.