Sarkozy restera comme le président qui parle, même lorsqu'il ne parle pas. Mieux : qui parle d'autant plus qu'il ne parle pas. Adepte du off, savamment dosé, savamment fuité, délivré à des confidents du soir ou à des journalistes qui savent qu'il sait qu'ils savent qu'ils sait qu'ils vont parler (et réciproquement). Quand Sarkozy on se tait ou se mure dans son " job " (comme il dirait) de président, Sarkozy se déchaîne, commentant la nullité de ses adversaire ou détaillant ses chances de victoire. Ah les délices de la mise en abyme, de ces articles " confidentiels " réalisés à partir de de conseillers proches recueillant eux-même les off du président !
Le off est déjà, par nature, une pratique nombriliste, visant à entourer d'une aura de mystère et d'importance les propos tenus sous son couvert, ainsi que ceux qui les tiennent. Mais depuis quelque temps, c'est de nombrilisme au carré qu'il s'agit avec l'ex- maire de Neuilly. Il y eut la récente séquence " Caliméro ", avec le voyage en Guyane durant lequel il s'épancha auprès de son escorte journalistique sur la possible fin de son parcours politique. Elle généra suffisamment de bruit pour lui permettre de maintenir la tête hors de l'eau pendant une semaine écrasée, par ailleurs, par le lancement de campagne de François Hollande. Il y a maintenant, cette semaine, les commentaires off de la réception du off guyanais. Une réunion avec les parlementaires UMP où il est question de l'attente " qui fait monter le désir ". Des vœux à la presse mêlant forfanteries et cajoleries : " J'essaierai de continuer à vous surprendre, peut-être, avec une certaine malice, déjouer certains de vos pronostics [...] Je suis l'homme qui se remet des dépressions le plus rapidement possible ". Des confidences au coin du feu, enfin, avec sa garde rapprochée : " Je ne vous dirai rien [ sur ma candidature] ! Je serai très secret, parce qu'il faut que je surprenne ".
Il y a un mot pour décrire cet étrange ballet, mêlant psychologie de comptoir, exhibitionnisme de l'intime et moelleux satisfécits : la minauderie. Sarkozy minaude, avec les autres, avec lui. Fasciné par la contemplation de sa propre personne, de ses bobos passagers, de ses perspectives, il essaie de faire de lui-même un sujet politique central, accueillant par des feulements de plaisir les brèves, et les échos des off des off des off, comme autant de miroirs qu'on lui tendrait pour refléter dans l'infini de l'infosphère sa petite personne. Et pendant que le pays est dégradé par les agences de notation (pour ne prendre que la partie émergée de l'iceberg), Nicolas Sarkozy tient salon, tient antichambre, tient confessionnal, midinette politique pouffant d'aise quand elle gère ses petites histoires personnelles comme le journal intime d'un adolescent.
Mais justement - va-t-on sûrement me rétorquer - il semblerait que le Président va sortir un ouvrage ( J'ai changé 2, le retour), qualifié de " très personnel ", où il fera amende honorable sur les débordements de son quinquennat, revenant même sur l'emblématique " cass' toi pov' con " ! Si c'est exact, on ne peut imaginer pire aveu de son incapacité, en fait, à changer. Comment imaginer que les Français, dans les difficultés qu'ils traversent, puissent se (re)prendre de passion pour un homme ne trouvant rien de mieux à faire, à quelques semaines du scrutin, que de publier un long exercice d'auto- apitoiement ou, au mieux, de mea culpa ! Présenter ses excuses de manière si grandiloquente, c'est encore vouloir mettre son individualité au centre du jeu. C'est fauter tout en voulant se faire pardonner. C'est là toute l'aporie du sarkozysme : les Français en ont effectivement plus qu'assez de ce président qui a passé cinq ans à penser à lui et à ses amis ; mais pour les guérir de cette impression, il doit bien reparler de lui, pour modifier son portrait auprès d'eux. Le serpent se mord la queue.
Sarkozy, en résumé ? Le président qui ne change pas, surtout quand il explique qu'il change.
Romain Pigenel