Avant de rencontrer mon épouse, j’étais idiot et ne suivais pas la remise des Oscars. Citoyen d’un des très rares pays de la planète à ne pas rediffuser la cérémonie, je n’en récoltais le lendemain matin que les miettes, à la façon de l’Européen supérieur que désole l’increvable culture à paillettes hollywoodienne. Mais depuis quelques années, je n’en décolle plus. Je connais la liste des nominés, j’essaye d’aller les voir les films en question, je me perds en conjectures sur les raisons des nominations, les palmarès possibles et les palmarès désirés. Parfois, grosse déception. Je me souviens par exemple de l’année honteuse où Shakespeare in Love, la Mère de tous les navets, avait tout emporté, y compris l’oscar de la meilleure actrice à cette cruche sans fond de Gouinette Paltrot. Mais cette année, très bonnes surprises : les frères Coen, mes chouchous depuis Big Lebowski, y rafflent la mise, le génial Daniel Day-Lewis emporte le morceau, le non moins génial Javier Bardem le petit morceau. Et Marion Cotillard, délicieusement imprononçable en anglais, vole la vedette à tout le monde. En plus, sur le red carpet, la belle s’en sortait mieux que d’autres avec un fourreau Gautier du meilleur effet. Bref, champagne pour tout le monde.
C’était sans compter sur les effets immédiats d’une énorme gloire : le retour détaillé sur le passé de la star. Et voilà qu’on exhume des oubliettes médiatiques une interview donnée dans les catacombes de Paris en janvier 2007. La Marion s’y exprime sans fards et sans fourreau Gautier. C’est dommage, on y aurait moins fait attention aux convictions profondes, presque religieuses, qu’elle déballe sur le monde qui nous entoure, avec un sens tout relatif de la modération. Ainsi, de la mort de Coluche à l’homme sur la Lune, sans oublier l’indispensable 11-septembre, Marion a « tendance à être de l'avis de la théorie du complot ». S’en suit une série de déclarations plus ou moins sordides que le Guardian a l’élégance de ne pas reproduire entièrement, contrairement à tant d’autres qui ne se privent pas d’imprimer ces pénibles élucubrations. Pour le journaliste britannique, Cotillard, qui peut désormais envisager une carrière américaine, risque de payer cher ce qu’il n’hésite pas à qualifier de propos anti-américains. Prétendre que les Twin Towers auraient été dynamitées pour éviter des frais de câblage, relève peut-être en effet de l’adage anglo-saxon adding insult to injury, ou aggraver la blessure par une insulte.
Pourtant, ça n’est pas vraiment le complexe d’infériorité caricatural envers l’Amérique par une Européenne bobo qui me fait soupirer. Ce n’est pas non plus l’hypothèque probable sur sa carrière, ça, je m’en tartine le coquillard. Non, c’est plutôt l’intrusion, au beau milieu de cette célébration aussi convenue que délectable, de ce que notre époque produit de plus inquiétant. Les théories de la conspiration ont toujours fait le lit des régimes sordides. Durant les années 30, les théories du complot judéo-maçonnico-communisto-cosmopolite tombèrent sur l’Europe comme la vérole sur le bas clergé breton. Ce n’est donc pas un hasard si le bouquin de Thierry Meyssan, L’effroyable imposture, qui prétend que le 11-septembre est un complot du gouvernement américain, se vend si bien au Moyen-Orient, avec Le protocole des Sages de Sion, morceau de bravoure antisémite, et Mein Kampf, dont l’auteur a connu son petit succès dans les années 40.
Je suis néanmoins le premier à refuser d’avaler sans ordonnance les amères pilules de l’information générale. Le premier à penser que le 11-septembre possède ses parts d’ombre, sa réalité extraordinaire et ses implications qui nous dépassent. Que par conséquent le gouvernement américain protège ses secrets honteux, comme une entreprise cache ses pédophiles présumés, ou une famille dissimule ses consanguinités. Il est donc bon et nécessaire de chercher la vérité. Et voilà ce qui me fait soupirer : les crétins précités prétendent déjà la connaître, la vérité. Face à des événements extraordinaires, l’humanité à besoin de réponses, elles-mêmes souvent extraordinaires. Il y eut une époque, pas si lointaine, où ces réponses étaient regroupées sous le terme de Religion. Aujourd’hui, à l’âge de la science objective, on n’est pas bête au point de croire encore en une intelligence divine. Alors on croit à la diabolique intelligence de la CIA, du Mossad, du FSB et de toutes les officines merveilleusement commodes en ce qu’elles sont, tout comme Dieu, invisibles et jamais là pour répondre directement. Et tout comme Dieu, elles nous envoient un clergé de choc en la personne de Cotillard et des autres, pour nous enseigner la Bonne, ou plutôt la Mauvaise Nouvelle. Enfin, tant que personne ne me gâche ma remise des Oscars l’année prochaine, je suis prêt à prendre tout ce qu’on raconte pour argent comptant pendant encore une année entière.