Si l'innovation se conjugue au futur en tant que plan d'action pour assurer la compétitivité, la pérennité et l'avenir d'une firme, elle peut concerner deux temps bien distincts : le long
terme et le moyen terme. Le premier est celui des départements Recherche & Développement, le second est celui des départements Marketing. Pour appréhender les types d'innovation que ces
différences de rythmes imposent, je les appellerai respectivement « innovations de long terme » et « innovations de moyen terme ».
Si je les distingue, c'est que ces innovations appellent des méthodes d'approche différentes. Pour l'innovation de long terme, c'est la prospective qui sera décisive ;
l'anticipation de scénarios futurs en fonction desquels les décisions stratégiques entraîneront, dans une visée plus ou moins lointaine, des innovations majeures dans la vie d'une entreprise
(ex : la voiture électrique chez Renault).
Pour ce qui est de l'innovation de moyen terme, elle n'aura pas le temps d'analyser des situations globales sous peine d'être en retard par rapport à la concurrence. J'entends par
« innovations de moyen terme » les innovations qui découlent d'intégration de produits/services déjà existants mais dans des contextes Marketing inédits. Là où l'innovation de
long terme transforme radicalement un produit/service, des process, voire une organisation toute entière, l'innovation de moyen terme cherche juste à adapter sa manière de vendre les
produits/services afin d'être toujours au contact du client/consommateur qui évolue dans un monde qui bouge sans cesse (ex : être présent sur les réseaux sociaux, créer une application
smartphone, etc.). Pour conduire cette deuxième forme d'innovation, je parlerai d'attitude pragmatique.
Si la prospective est « l'étude de l'avenir lointain[1] », je dirais que la pragmatique est celle de l' « avenir immédiat ». Mais là où la prospective cherche à construire des
possibles forcément un peu flous et toujours hypothétiques, la pragmatique a pour mission de regarder et voir ce qui est déjà-là mais dans des configurations inédites. C'était
l'idée de saisir « l'air du temps » pour le tourner en avantage compétitif. Par exemple : une chaîne de distribution comprend que les écrans de télévision 3D vont exploser pour les
JO de Londres et propose de tels écrans dans ses magasins pour afficher ses promotions.
Le concept de « pragmatique » que je tente de mettre à jour ici fait directement référence au « pragmatisme » du philosophe américain William James. Dans son
ouvrage de référence, William James définit l'attitude pragmatique comme celle « qui consiste à se détourner des choses premières, des principes, des « catégories », des nécessités
supposées pour se tourner vers les choses dernières, les fruits, les conséquences, les faits[2] ». Traduit dans le contexte de l'innovation et des entreprises, cela signifie qu'il s'agit de voir
« ce-qui-marche » et de chercher à l'intégrer, à l'imiter ou à l'adapter plutôt que de réfléchir à des innovations totalement originales. La prospective c'est « voir loin »,
la pragmatique c'est « voir de près », comprendre ce qui plaît.
Une pragmatique de l'innovation suppose une veille active et opérationnelle sur les tendances, technologies ou services qui intéressent une firme. Elle est un processus qui peut et doit être
maîtrisé en vue d'innover dans le moyen terme et ainsi d'être ultra réactif sur son marché. Couplé à une démarche prospective, la pragmatique permet ainsi d'accompagner la commercialisation de
produit/service totalement nouveaux et de maintenir toujours un lien avec le consommateur.
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[1] Gaston Berger, « L'attitude prospective » in Gaston Berger, Jacques de Bourbon-Busset, Pierre Massé, De la prospective, L'Harmattan, 2008, page 75
[2] William James, Le pragmatisme, Flammarion, 2007, page 120