Président de la chaine Public Sénat, et observateur avisé des élections présidentielles, le journaliste Gilles Leclerc revient pour Délits d’Opinion sur une semaine marquée par l’accélération de la campagne.
Délits d’Opinion : Depuis l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, ce dimanche, peut-on dire que nous sommes entrés au cœur de la campagne ?
Gilles Leclerc : Oui, cela ne fait plus aucun doute. Le meeting du Bourget a lancé la campagne de François Hollande. Et depuis dimanche, Nicolas Sarkozy déploie sa stratégie de reconquête, même s’il ne souhaite officialiser sa candidature que plus tardivement. Le Président sortant a décidé, il y a longtemps déjà, de mener une campagne éclair. Il n’a pas changé d’avis, malgré la mauvaise séquence passée : des prestations réussies de François Hollande, la dégradation du triple AAA par une agence de notation, ou bien encore de mauvaises nouvelles sur le front afghan.
Délits d’Opinion : Un Président sortant qui n’est pas officiellement en campagne, et propose des actions immédiates à deux mois et demi de la présidentielle : le scénario est-il inédit ?
Gilles Leclerc : La stratégie de Nicolas Sarkozy, fondée sur des annonces très fortes sans attendre l’élection, c’est effectivement du jamais vu. Il faut néanmoins nuancer, car les annonces ont lieu, mais l’application interviendra le plus souvent après l’élection : c’est le cas pour la TVA sociale, ou la taxe sur les transactions financières qui ne sera effective qu’en octobre. A ce stade, et en raison des contraintes juridiques, nous en sommes encore à des déclarations d’intention, doublées d’une communication axée sur la notion de courage.
Délits d’Opinion : En face, François Hollande peut-il s’en tenir à un programme dont certains soulignent le caractère encore parcellaire ?
Gilles Leclerc : François Hollande a déjà dévoilé son jeu. Il a sorti ses cartes, avec notamment des mesures bien concrètes. Il va donc lui falloir gérer au mieux son avance, tenir deux mois et demi, alors que l’essentiel de ses cartouches a été tiré. Mais pour l’instant, tout semble lui réussir. Nous venons de recevoir le dernier baromètre IFOP, Public Senat, Paris Match : François Hollande gagne trois points pour s’établir à 31% au premier tour.
Délits d’Opinion : François Bayrou pâtit-il de la bonne séquence de François Hollande ?
Gilles Leclerc : Il obtient 11,5% des intentions de votes, et perd 1 point. Si son score reste honorable, sa progression semble marquer un coup d’arrêt. Plus globalement, on a l’impression d’être déjà entre les deux tours : deux candidats font la course en tête, et les autres suivent derrière. Le fait que les médias ne soient pas encore soumis à la règle d’égalité et privilégient les gros candidats explique en partie la situation. Avec le lancement de la campagne officielle, les petits candidats vont probablement gagner en visibilité. Mais il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour faire remonter leurs courbes d’intention de votes. Car ces derniers se heurtent au syndrome du vote utile. Le plafond de verre sur lequel bute Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Marine Le Pen réside là : les Français savent qu’ils ne peuvent pas être élus.
Délits d’Opinion : Les thèmes se succèdent – made in France, pouvoir d’achat, compétitivité – sans que l’on puisse parler d’une véritable cristallisation autour d’un thème. Cette élection sera-t-elle d’abord fondée sur la personnalité des candidats et leur conception du pouvoir ?
Gilles Leclerc : Je pense que sûr ce point, il faut différencier le fond des choses, et l’écume des vagues. L’enjeu structurant, c’est le chômage. Quand vous annoncez 30 000 chômeurs supplémentaires au mois de décembre, quand vous anticipez d’autres mois compliqués sur le front du chômage, vous savez nécessairement que l’élection va devenir difficile. C’est pour cette raison que Nicolas Sarkozy axe ses propositions sur ce point. Le reste est plus anecdotique : arrogance, type de gouvernance, caractère… Je ne suis pas sûr que cela structure les votes. Le Président a tapé sur la non crédibilité de François Hollande, et cela ne marche pas. De son côté, François Hollande a mis en avant sa conception de la Présidence, mais prend bien garde de ne pas surjouer l’anti-Sarkozysme.
Délits d’Opinion : Les élections législatives interviendront au lendemain de la Présidentielle. Une cohabitation est-elle possible ?
Gilles Leclerc : Je n’y crois pas trop ; si François Hollande gagne, c’est impossible. Si Sarkozy gagne, je pense que les Français iront au bout de la logique. D’autant que le projet de réintroduire une dose de proportionnelle ne pourra pas intervenir qu’après 2012. Ce point est d’ailleurs à suivre de très près. Il y a un débat en ce moment à droite. Jean-François Copé est résolument contre, mais Nicolas Sarkozy y pense. C’est un moyen de négocier avec François Bayrou. Par ailleurs, à gauche, la réintroduction d’une dose de proportionnelle est actée : cela fait partie de l’accord avec les écologistes.
Délits d’Opinion : Au final, pensez-vous que la mobilisation sera au rendez-vous le 22 avril ?
Gilles Leclerc : Cette campagne intéresse comme toutes les grandes compétitions. Il y a un côté match de football et l’élection présidentielle demeure la compétition reine. Les salles de meeting sont pleines, les émissions de télévision font de très bonnes audiences. Une chaine comme Public Sénat, parvient elle aussi à réussir de très bons scores. Cet intérêt ne signifie pas pour autant que les Français croient ceux qui leur racontent des choses. Curiosité ne vaut pas confiance.
Propos recueillis par Matthieu Chaigne