Youssou Ndour fait de la résistance

Publié le 01 février 2012 par Africahit

Youssou Ndour est plus remonté que jamais contre le régime Wade, qu’il accuse d’avoir fait invalider sa candidature à la présidentielle du 26 février. Aliou Ndiaye, son directeur de campagne, revient pour Slate Afrique sur sa stratégie.

Youssou Ndour le 10 juillet 2010. REUTERS/Valentin Flauraud


Youssou Ndour, candidat  contrarié à la présidentielle au Sénégal, a reçu le 30 janvier tous les ténors de l’opposition, venus lui marquer leur soutien. Il fait désormais partie du Mouvement du 23 juin (M23), vaste front formé par la société civile et l’opposition, qui a lancé un appel à la «résistance» contre le régime d’Abdoulaye Wade. Le roi du mbalax se prépare à en suivre les mots d’ordre, tout en se réservant la possibilité de lancer des appels à des manifestations particulières, en raison de l’invalidation de sa candidature, le 27 janvier dernier.

«Je n’ai jamais appelé à la violence, mais je vous dis, je ne contrôle plus mes militants», a notamment déclaré le chanteur, après le rejet de sa candidature. Une façon de donner carte blanche à ses partisans…

Le mouvement qu’il a fondé en 2008, Feke Ma Ci Boolé («Je suis témoin donc je m’engage», en wolof), revendiquait 78.000 adhérents avant le rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel. Depuis, les ralliements sont innombrables, selon Aliou Ndiaye, le directeur de campagne de Youssou Ndour.

«L’argument du Conseil constitutionnel, c’est du pipeau!», martèle cet ancien journaliste et ex-secrétaire général de Futurs Médias, le groupe de presse de Youssou Ndour. Chaque fois que son patron se déplace dans la rue au Sénégal, «il draine des foules monstres», rappelle Aliou Ndiaye. La raison invoquée pour invalider  sa canditature relève à son avis de la «grosse plaisanterie», dans la mesure où Youssou Ndour avait rassemblé 25.000 signatures d’électeurs pour soutenir sa candidature, alors que le minimum légal s’élève à 10.000 paraphes. «Pour ne pas encombrer le Conseil constitutionnel, nous en avons déposé 13.000, à toutes fins utiles, explique Aliou Ndiaye. Quand on nous a dit que ces signatures n’étaient pas bonnes, nous avons proposé de les vérifier ensemble, de venir avec nos copies pour les comparer avec les originaux, mais on ne nous a pas permis de le faire».

Colère froide de Youssou Ndour

Youssou Ndour, qui n’a pas caché sa colère froide et sa détermination, a promis de donner une réponse «politique» à ce que beaucoup d’observateurs, comme Etienne Smith de l’Université de Columbia, considèrent comme une «provocation» des autorités de Dakar. Son directeur de campagne, connu pour ne pas mâcher ses mots, accuse d’ores et déjà: «La vérité, c’est que le pouvoir savait qu’il n’avait pas de chance d’arriver au second tour avec en face de lui Youssou Ndour. Il y a aussi des ressentiments personnels. Selon nos informations, le fils du président de la République, Karim Wade, qui se comporte comme s’il était sorti de la cuisse de Jupiter et comme s’il avait un droit de vie et de mort sur les Sénégalais, s’est lui-même engagé pour faire invalider la candidature de Youssou Ndour.»

Le chanteur a renforcé sa sécurité

Le chanteur, qui s’est dit physiquement «menacé» le 29 janvier, a renforcé sa sécurité autour de lui. Il ne se déplace plus sans plusieurs gardes du corps. Son directeur de campagne affirme qu’il a reçu des «menaces de mort très claires», ainsi que des informations sur des projets visant à atteindre à sa sécurité. «Youssou Ndour est si populaire que les gens que vous convoquez pour exécuter un projet contre lui sont les premiers à venir le voir pour vous dénoncer», explique Aliou Ndiaye.

Alors que de nouvelles violences étaient redoutées ce 31 janvier, lors des manifestations organisées par l’opposition, la présidentielle du 26 février 2012 a déjà fait quatre morts. Un jeune lutteur a été tué par Barthélémy Dias le 23 décembre. Un policier a été tué à coup de briques à Colobane le 27 janvier, et deux civils ont trouvé la mort le 30 janvier à Podor, dans le nord du pays, dans des heurts entre la police et des manifestants.

Youssou Ndour, un self-made-man qui emploie un millier de personnes au Sénégal entre son orchestre, sa boîte de nuit, son studio d’enregistrement et son groupe de presse, est souvent critiqué chez lui. On lui reproche notamment de n’avoir pas plus investi dans le quartier populaire de Dakar qui l’a vu naître, la Médina… Ou de ne pas avoir fait ses premières armes en politique en passant par la case des municipales et en devenant maire d’un quartier de Dakar. «C’est normal d’être critiqué quand on est dans l’espace public, rétorque Aliou Ndiaye. Youssou Ndour ne prétend pas être parfait, mais il est imbu des valeurs de notre pays: le partage, la solidarité, la générosité et le courage. Il a réussi de grandes choses et on peut difficilement lui reprocher de ne pas avoir investi dans la Médina, d’où je vous parle, depuis mon bureau de l’immeuble Elimane Ndour, où se trouve le siège de Futurs Médias. D’ailleurs, le siège de sa banque populaire se trouve aussi dans le même quartier…»

Carrière musicale entre parenthèse

Pour l’instant, Youssou Ndour a mis sa carrière musicale  entre parenthèse, pour s’engager entièrement dans son nouveau combat. Il a l’intention de peser de tout son poids international pour faire pression contre le régime Wade, et projette un séjour dans les premiers jours de février à Paris. Après le rejet de son recours par le Conseil constitutionnel, le 29 janvier, il a reçu des messages de soutien du monde entier, «de chefs d’Etat mais aussi d’organisations internationales avec lesquelles il a travaillé par le passé, notamment pour l’annulation de la dette africaine et contre la faim», selon son directeur de campagne. You, qui se comporte désormais en professionnel de la politique, entend bien faire passer son message auprès des chancelleries occidentales.

Une stratégie manifestement payante: d’abord frileux et répétant «ne pas avoir de candidat au Sénégal», le Quai d’Orsay a pris une position un peu plus courageuse le 30 janvier. «La France regrette que toutes les sensibilités politiques ne puissent pas être représentées», a déclaré son porte-parole, Bernard Valero, s’inquiétant d’une «instrumentalisation politique de la justice» au Sénégal. Le département d’Etat américain a encore plus nettement changé de ton. Dans un premier temps, il a appelé à respecter la décision du Conseil constitutionnel. Puis carrément demandé à Abdoulaye Wade, le 30 janvier, de renoncer à ses ambitions : «Nous respectons le processus politique et légal et le fait qu’il soit autorisé à briguer un nouveau mandat mais le message que nous lui adressons reste le même: l'attitude digne d’un chef d'Etat serait de céder la place à la prochaine génération».

Sabine Cessou