Il avait l'air fatigué ou pressé d'en finir, lundi soir à l'issue du sommet européen informel qui s'est tenu à Bruxelles. Il
n'était pourtant pas tard, 21h30 à peine, quand Nicolas Sarkozy se montra sur la traditionnelle estrade réservée aux mini-conférences de presse de ce genre de rencontres.
Modeste sur l'Europe
Il aurait pu sur-vendre le résultat des échanges européens du jour. Il en a tant l'habitude. Pour une fois, il avait même
quelque chose à vendre. Après tout, les chefs d'Etat et de gouvernement se retrouvaient dans un climat plus apaisé que d'habitude. Le sommet est apparu presque normal. La Grèce est toujours là,
elle n'a pas fait faillite.
Certes, l'accord avec ses créanciers publics et privés tarde à se concrétiser. Certes, le premier ministre britannique
David Cameron s'est moqué de la taxe
française sur les transactions financières. Mais 25 des 27 Etats de l'Union
européenne ont tout de même enfin validé le nouveau traité qui prévoit une discipline budgétaire (que Nicolas Sarkozy s'empressa de qualifier de « règle d'or » ) et ses sanctions
quasi automatiques en cas de dérapage des déficits publics. Il faudra encore un sommet en mars, avec le texte définitif, puis une ratification plus tard dans l'année (et notamment, en France,
après les élections présidentielle et législative).
Nulle révolution, donc, mais Nicolas Sarkozy nous avait habitué à sur-vendre de biens plus modestes résultats.
Ce lundi soir, il avait la tête ailleurs. Il était pressé. Il ne lâcha que 17 minutes aux journalistes présents.
Son esprit était resté en France, dans sa campagne qui ne décolle pas. Il semblait inquiet. « Bon... Mesdames et
Messieurs, ce ne sera pas une conférence de presse parce qu'au fond tout s'est passé comme prévu » A peine résumé les avancées du jour, il demanda à l'assistance: « S'il y avait une ou
deux questions, j'y répondrai bien volontiers et après je rentrerai à Paris ». Quelle curieuse formule ! Il y a quelques mois, le président français chérissait ces tribunes européennes.
Elles confortaient sa stature de chef d'Etat, sa stratégie de présidentialisation. Mais cette fois-ci, il était pressé d'en finir, anxieux de son intervention ratée de la veille.
Le choc de confiance n'a pas eu lieu. Ces annonces ont été jugées
incompréhensibles, confuses, insuffisantes ou injustes.
Rendez-vous précipité avec 400 parlementaires
En revenant sur Paris, il convoqua donc tous les parlementaires UMP, députés comme sénateurs, à 11h30 mardi matin à l'Elysée.
La réunion fut ainsi décidée à la dernière minute. Les voeux à la presse, prévus de longue date à 11h furent décalés, sans crier gare, à 17h. Certains parlementaires furent prévenus
par SMS. Il fallait remonter le moral des troupes, sénateurs comme députés. Les premiers ont perdu leur
majorité en septembre dernier. Les seconds craignent une bérézina en juin prochain. Tous continuent de s'interroger sur cette drôle de non-campagne de leur mentor. Même à l'Elysée, les conseillers du Monarque s'inquiètent de leur sort
après le 6 mai. On cherche des ambassades, des investitures ou des postes dans le privé.
Par rapport à 2007, quelle différence ! A l'époque, le candidat de la Rupture avait motivé ses foules, conquis les médias,
emmené sondeurs et sondages avec lui. En ce début février de 2012, chaque coup d'éclat du Monarque fait choux blanc. Le tout premier sondage réalisé à la suite de l'intervention présidentielle de
dimanche soir a douché certains espoirs: c'est François Hollande qui a gagné 2
points !
Devant ses parlementaires, Nicolas Sarkozy a donc tenté d'avoir les mots qu'il fallait. Quelques participant(e)s « live-tweetèrent » comme souvent ce qui se disait dans l'enceinte du
Palais. Sur la TVA sociale, il s'est
moqué de ses critiques: « On me dit suicidaire. Je suis le suicidaire le plus en forme de France ». Au passage, il critiqua le recours devant le Conseil Constitutionnel contre la
loi pénalisant la négation du génocide arménien, déposé par quelques parlementaires de son camp:
Il justifia que c'est la crise qui « rend possible la TVA
sociale ».
Il confia qu'il était « pressé d'aller à la rencontre des Français », sans toutefois reconnaître sa candidature:
« le plaisir est dans l'attente ». « Je vous demande d'être patients et ne
pas tomber dans tous les pièges. Le moment n'est pas encore venu. ». D'après la députée Valérie Rosso-Debord, il fut grandiloquent: « la vérité c'est que le peuple français est plus
courageux que les élites qui baissent les bras ».
A en croire quelques participants, Nicolas Sarkozy fut « très applaudi ». Nous sommes rassurés. Le capitaine du
Titanic France est toujours là.
Mardi, on apprenait une autre bonne nouvelle: l'avionneur Dassault parvenait enfin à vendre ses Rafales à l'étranger:
l'Inde lui commanderait 126 avions de chasse. Cocorico ! « Il reste à finaliser un
certain nombre de choses » prévenait le secrétaire d'Etat au Commerce Extérieur Pierre Lellouche. « À ce stade, je veux être prudent, on est
dans une phase de négociation exclusive ». Fallait-il se satisfaire ? Seuls 18 avions
sur 126 seront achetés en France. Les autres seront en fait fabriqués... en Inde.
C'est toujours curieux, ces grosses ventes d'armes juste avant une élection présidentielle.
Rappelez-vous le Karachigate. 17 ans après, l'histoire se répèterait-elle ? En
janvier 1995, quelques semaines avant le scrutin présidentiel, deux intermédiaires avaient été ajoutés par le gouvernement Balladur dans la vente de sous-marins Agosta au Pakistan.
Nerveusement décontracté avec la presse
Mardi vers 17 heures, à l'Elysée toujours, le Monarque reçu enfin les médias. les photographes étaient invités mais sans
leurs appareils. Interdiction de filmer.
Le
Les voeux furent courts, 24 minutes à peine. Une partie de l'assistance eut l'indécence d'applaudir à la fin.
Sarkozy avait commencé son show par une boutade: « Mesdames et messieurs, bienvenue... je dois dire que j'ai hésité...
avant de vous présenter mes voeux... C'est pas à cause du Off... Quand j'fais un Off, ça devient le On le plus repris dans l'histoire de mes interviews... C'est pas à cause de ça... Non, je me
suis posé des questions... est-ce qu'un président de la République a des voeux à présenter à la presse ?»
Personne ne réagissait... On sentait la fin de règne, le dernier tour de piste, celui des adieux. « Des voeux personnels
? C'est sûr. Journalistes, vous avez droit à des voeux de bonheur ». Sarkozy souriait d'un sourire si large qu'il lui barrait le visage d'une oreille à l'autre. Il attendait les rires qu'on
entendit à peine. « vous n'êtes pas interdit du droit au bonheur personnel »... La ficelle était grosse. Devant une assemblée qu'il supposait hostile, le recours à l'humour est toujours
facile.
Nicolas Sarkozy eut ensuite quelques mots plus sombres, en l'honneur du journaliste Gilles Jacquier, tué en Syrie il y a deux
semaines, ou en souvenir de France Soir et de la Tribune disparus.
Il a cajolé son assistance, après ce premier passage goguenard: «Au début de sa carrière, on a envie de séduire (...)
Ensuite, on en revient, on se trompe, on prend pour de trahisons ce qui n’est que liberté professionnelle. On s’aime beaucoup moins.»
Le Président des fadettes eut de
grands mots sur l'indépendance et l'exigence de la presse. On rigolait en silence. «Laissez à la sphère de l’auto-information la pulsion de l’information immédiate et gardez l’information
crédible.»
Il avait son opinion, grandiloquente encore, sur l'avenir de l'information: «Passée la pulsion adolescente des premiers
temps, l’ennivrement de la quantité de l’information, le citoyen va revenir à une forme d’information plus explicative, plus pédagogique ».
Il avait évidemment envie de parler de cette campagne à laquelle il ne participe pas officiellement: «La seule façon de
progresser, c’est d’être critiqué. Et là, franchement, merci ! J’ai fait des progrès considérables.»
Le show était triste. Il ressemblait au dernier tour d'un clown dépassé. Nicolas Sarkozy avait rechuté. Il était retombé dans
cette familiarité qui lui réussit tant en 2007.
Mais nous sommes en 2012.