Le pays a changé, il faut changer
L'Algérie est mal gouvernée, affirment certains experts algériens. Le mal vient d'un secteur public enclin à se consolider par l'argent du pétrole, au détriment des investisseurs privés, étrangers comme locaux. On peut ne pas être d'accord, mais les faits sont là : la croissance est "molle" depuis quelques années, au point où on parle d'immobilisme, voire carrément de régression, et de bureaucratie omniprésente avec toutes les nuisances qui l'accompagnent : incompétence, corruption, blocages des initiatives entrepreneuriales ou autres, tentations autoritaristes, gestions aveugles et sourdes aux véritables aspirations et priorités, ainsi de suite.
C'est un constat qui n'est pas exagéré, mais pour autant, est-il complet ? Et les solutions préconisées sont-elles justes ? Il n'est pas complet parce qu'il omet de parler des investissements infrastructurels bien réels, et sans lesquels aucun développement économique n'est possible - s'il n'existe pas de routes, d'aéroports, de voies ferrées etc. peut-on parler d'économie ? Parce qu'il omet aussi de parler des investissements publics de type social - logements, secteurs éducatif ou sanitaire - qui sont tout aussi réels et sans lesquels, l'économie serait un mot barbare. Les visions libérales en vogue, notamment chez le FMI, font l'impasse sur ces préalables, en considérant soit qu'elles vont de soi, soit qu'elles sont induites par le marché.
En supposant que la libération économique crée les conditions d'un décollage réussi, entraînant derrière lui le développement général, comment contenir, entre-temps, les aspirations populaires et leur droit à un travail, une rémunération, un confort décent, à l'éducation pour les enfants et la santé pour tous ? Les déstabilisations auxquelles on a assisté dans de nombreux pays sous-développés du fait de l'application de la règle libérale préconisée par nos experts ont détruit leurs potentiels.
Ici même, le tissu industriel a été détruit par les fameux "ajustements structurels" imposés par le FMI. Le gouvernement algérien n'a certes pas été à la hauteur des défis qu'il affrontait, et qui exigeaient de lui audace et générosité, mais il serait injuste de lui imputer un échec total qu'il ne mérite pas. Le marché algérien n'existait pas, et il n'existe toujours pas : c'était une idée, c'est devenu une "potentialité". Preuve en est qu'avec l'investissement public, la prudence de la gestion des ressources des hydrocarbures, qui a permis de constituer des fonds de réserve importants, et le désendettement, beaucoup de travail a été accompli.
Des aspects négatifs, nombreux et variés, relèvent, pour certains d'entre eux, des choix de cette stratégie : le volontarisme étatique induit dans tous les cas de figure la bureaucratie. Mais il est temps, en effet, de passer à l'étape supérieure. Il est temps de libéraliser. Nos "experts" avaient tort sur toute la ligne, ils ont raison aujourd'hui. Le paradoxe n'est qu'apparent, car le pays a changé - ce qu'ils oublient de dire.