I
Une fort jolie femme passe.
- Belle poulette, murmure Olive avec admiration.
- Oui, approuve Marius. Et une belle poulette qui fut jadis, ma fiancée.
- Pas possible !
- Comme je te le dit.
- Et pourquoi ne l'as-tu pas épousée ?
- Pourquoi ? C'est tout une histoire. Té ! Je vais te la conter :
Un dimanche, nous avions décidé d'aller en excursion à Arles. Je prends la voiture et nous partons.
Bonne route. Excellent déjeuner. Visite des ruines romaines. Après quoi nous nous égarons dans la campagne.
C'était le printemps, un printemps magnifique plein de lumière et de senteurs aromatiques.
Je répétais à Adolphine - elle s'appelle Adolphine - des paroles tendres, lorsque soudain, surgi d'une prairie voisine, un taureau fonce vers nous, cornes baissées.
Obéissant à l'instinct naturel de la conservation, je prends la fuite, croyant toujours avoir l'animal à mes trousses. J'arrive épuisé, haletant, au garage.
- Et Adolphine ?
- Attends, tu vas voir.
Adolphine apparaît, un quart d'heure plus tard. Heureux de la voir saine et sauve, je me dispose à l'embrasser lorsqu'elle me repousse d'un geste plein de froideur :
- Môssieu Marius, fait-elle, tout est fini entre nous. Votre conduite est inqualifiable. Quand je pense que vous m'affirmiez ce matin encore que pour moi vous n'hésiteriez pas à regarder la mort en face !
Nous sommes rentrés à Marseille. Et elle m'a quitté sans un mot, pour toujours.
Petit silence. Dégustation de la liqueur opaline. Puis Olive objecte :
- Il faut quand même avouer qu'elle n'avait pas tort, la petite, Marius, tu avais failli à ton serment.
- Failli à mon serment ? Mais jamais de la vie, voyons. J'avais juré que je n'hésiterais pas à regarder la mort en face. C'est vrai. Mais comprends-le, Olive, le taureau, il était vivant, lui !