Nous sommes fréquemment confrontés à l'imperfection du véhicule qui nous est octroyé dans cette mission sur terre. Particulièrement à notre époque où la génétique est considérablement appauvrie par notre mode de vie artificiel, civilisé et loin de la nature, de plus en plus de gens souffrent d'une grande variété de handicaps et problèmes de santé permanents.
Autrefois, les gens qui étaient différents et qui survivaient à l'enfance -puisque, chez les peuples vivant au sein de la nature, les imperfections emportent dans ses premières années de vie celui dont le bagage génétique n'est pas assez fort pour perpétuer une bonne lignée familiale-, étaient très appréciés par les nations autochtones. On disait d'eux qu'ils avaient des dons particuliers, et ils étaient invités à les découvrir. J'ai ici l'exemple, dans la province du Québec, de l'une des plus grandes chamanes qui aient existé sur notre territoire. Étant née sans jambes, elle était pourtant considérée, estimée, reconnue dans de nombreuses communautés pour ses pouvoirs extraordinaires, notamment dans la cérémonie de la tente tremblante. Son mari la transportait partout sur son dos pour laquelle il avait confectionné un harnais spécial. Jamais personne n'a entendu la moindre plainte de son état. Au contraire, elle était accueillie partout avec respect et appréciation. Ces dons la rendaient extrêmement précieuse pour sa communauté.
Chaque handicap est en fait un don, parce qu'il nous permet de découvrir en nous dons et pouvoirs qui sans cela passeraient inaperçus. Le mot-clef est ici l'acceptation. Tant que nous n'avons pas pleinement accepté d'être tels que nous sommes, ces dons et ces pouvoirs qui sont le corollaire de ce qui semble être un handicap demeurent hors de portée. Toute forme de révolte crée un blocage qui empêche les énergies de la vie de circuler.
Lorsque j'étais jeune, il n'y avait personne dans mon entourage pour m'enseigner la voie spirituelle sur laquelle je devais cheminer. Ce sont la maladie et la souffrance qui sont devenues mes enseignantes. L'inconfort de mon corps était tel que j'ai rapidement appris à voyager dans d'autres sphères de connaissance et dans d'autres dimensions de l'être ou mon corps ne me pesait plus. J'ai aussi appris à apprécier la solitude, la méditation, la contemplation, et à vivre la philosophie de l'acceptation, avec laquelle vient une compréhension de ce que vivent les autres. La plupart des chamanes à travers le monde le sont devenus qu'après une expérience de mort subite ou une grave maladie.
Il est parfois très difficile d'être reconnaissant d'un handicap. Je me souviendrais toujours du groupe de prisonniers amérindiens que j'ai accompagné lorsque je travaillais en tant que conseiller spirituel dans une prison à sécurité maximum. Ils ont dû apprendre à être reconnaissants d'être en prison. Ce n'était vraiment pas facile, et cela leur a pris longtemps, environ 5 à 6 mois si mes souvenirs sont bons, pendant lesquels, chaque semaine, j'ai dû insister pour qu'ils puissent développer en eux le sentiment de reconnaissance d'être où ils étaient. Tant qu'ils n'ont pas eu acquis la capacité d'éprouver cette gratitude, tout est resté au point mort. Mais dès que cela leur a été possible, tout a changé. Ils sont subitement devenus productifs, ils ont fabriqué de l'artisanat, ils ont entrepris des campagnes de financement pour les matériaux nécessaires à cela, ils sont parvenus à faire accepter à la prison de faire entrer ces matériaux, chose difficile dans un établissement à sécurité maximale. Ils ont fait renaître la fraternité amérindienne. Nous avons créé dans la cour de la prison un lieu sacré avec tipi et loge à transpirer où nous avons célébré des cérémonies. Tout s'est enchaîné lorsqu'ils ont pu dire merci.
Certains d'entre eux sont devenus des guérisseurs reconnus qui enseignent aujourd'hui la méditation et guident leurs frères vers un autre mode de vie. Et nous parlons ici de criminels de carrière, qui ont vécu dans une ambiance où la violence et le crime étaient un mode de vie. Ils ont fait 180°, et le premier pas de ce revirement était la reconnaissance d'être là.
Il en est de même pour un handicap. La première étape est d'accepter et de dire merci, à partir de là les trésors cachés peuvent être révélés.
(La suite demain…)
Aigle Bleu