Martin Lamontagne, Julien Sagot, François Lafontaine, Stéphane Bergeron et Louis-Jean Cormier
(Photo Rogerio Barbosa)
Article publié le 31 janvier 2012 par Philippe Rezzonico
Petite commotion la semaine dernière dans le cyberespace et les médias. La « pause » de Karkwa cacherait-elle la fin du groupe ? La rumeur alimentée par une manchette alarmiste a été démentie par Louis-Jean Cormier sur la page Facebook du groupe avec un statut qui a été salué par 1 258 « J’aime » depuis lors. Affaire classée ? Pas vraiment. Analyse.
Lors de la remise de la plaque soulignant la certification Or de l’album primé Les Chemins de verre en décembre, Karkwa a annoncé la couleur : l’année 2012 serait celle d’une pause collective après 14 ans d’existence, quatre albums, des Félix, un Juno et un Prix Polaris qui leur a valu une reconnaissance au-delà des frontières du Québec.
Les boys ont confirmé des projets amorcés en 2011 ou à venir : l’album solo de Julien Sagot (Piano mal) mis en marché aujourd’hui ; la réalisation de François Lafontaine du disque de sa conjointe Marie-Pierre Arthur (Aux Alentours) qui sort le 7 février, la production de Louis-Jean Cormier du compact de Lisa Leblanc, ainsi que la parution de son propre album solo, à venir plus tard en 2012. Pas de vagues. Tout baigne.
Julien Sagot a emballé la machine à rumeurs il y a quelques jours quand il a accordé une kyrielle d’entrevues en parlant de Karkwa au passé ou au conditionnel. Il a dit à peu près la même chose à tous les journalistes : Il pense que Karkwa a encore des choses à dire, mais il n’est pas sûr qu’il y aura un autre disque au menu, hormis l’album enregistré en spectacle qui verra le jour en 2012. Il ne sait pas si les projets personnels – le sien compris – pourraient inciter certains membres à ne pas renouer quelque part en 2013.
Je ne vois pas ici une rubrique nécrologique. Sagot, l’homme, le musicien, a eu la réaction que tous ont devant l’inconnu, l’incertitude et les aléas de la vie, après une décennie où Karkwa avait développé une certaine zone de confort. Je suis convaincu qu’il est sincère quand il a dit espérer que Karkwa poursuivre ses activités, même s’il n’en est pas convaincu.
Soudés à vie
Je suis tout aussi convaincu que Louis-Jean Cormier croit fermement ce qu’il a écrit sur Facebook, à savoir que « Notre groupe de musique est toujours vivant. Nous avons décidé de prendre une pause pour nous reposer et nous ressourcer. Question de défaire nos valises et de vivre une vie normale. Nous sommes soudés pour la vie et dans pas trop longtemps, notre désir de brancher les amplis sera trop fort pour y résister. »
Mais je vais vous en apprendre une bien bonne. Au moment où vous lisez ces lignes, certains membres de Karkwa ne sont pas convaincus qu’il y aura une suite. C’est normal. C’est humain. C’est la nature même des « pauses ».
D’un côté, elles sont indispensables quand ça fait 14 ans que tu es ensemble et que tu as passé plus de temps avec les chums en studio, sur la route, sur les scènes et dans les bus qu’avec ta blonde. D’autant plus vrai quand la blonde en question est aussi la mère de tes enfants. Quand Karkwa a vu le jour, les gars étaient des ados. Quatre d’entre eux sont maintenant papas. Ça change les priorités, ça. Madonna, Bono et Céline peuvent amener toute la famille avec eux (nounous comprises) lors d’une tournée mondiale de deux ans. Pas les gars de Karkwa.
Créations salutaires
En revanche, les pauses pour créer à l’extérieur d’un groupe sont drôlement salutaires. Vous connaissez Blue Rodeo ? Le groupe va être admis au panthéon de la renommée du rock canadien lors des prochains Junos. Bientôt 30 ans de carrière. Jim Cuddy vient pourtant nous présenter son troisième album au théâtre Maisonneuve le 10 février. Greg Keelor a lui aussi gravé sa part de disques individuels. Mais les deux Canadiens ont compris qu’ils étaient plus fort ensemble que séparément. C’est pour ça qu’ils rentrent toujours au bercail.
Idem pour Thom Yorke et Jonny Greenwood, de Radiohead, qui font leurs projets solos sans sacrifier le navire amiral. Pareil pour Bruce Springsteen, qui fait des disques solos, des albums avec d’autres musiciens, mais qui retrouve toujours son E Street Band.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de dissensions au sein de Karkwa, que les boys ne vont jamais se séparer et que ça ne discute pas ferme d’orientation musicale certaines journées. Je ne dis pas qu’après les cinq dernières années vécues à 100 milles à l’heure, il n’y a pas fatigue mentale, épuisement physique et une certaine forme de routine. D’où la nécessité de cette pause…
Ne rien précipiter
Que pouvaient-ils faire? Annoncer une rupture précipitée et maladroite sous le coup de la fatigue accumulée? Là, ils auraient l’air cons de se reformer dans trois ans et demie. Là, on les accuserait d’opportunisme. Là, on dirait qu’ils se reforment pour le fric, ce qui est un comble quand on sait à quel point ces musiciens-là ne roulent pas sur l’or. Non, il n’ont pas touché un million $ pour la pub de Coke. Même pas proche de 100, 000 $ Probablement la moitié de ça. Au mieux,,. Rien pour vivre en « pause » durant trois ans.
Mais vous savez, j’écoute le nouveau Sagot depuis une semaine et je suis emballé. J’entends Aux alentours, le premier extrait de Marie-Pierre Arthur, et j’adore la production de Lafontaine. Et après avoir entendu Louis-Jean nous interpréter une nouvelle chanson de son cru au spectacle de Petite-Vallée il y a deux semaines, je me dis que j’ai vachement hâte à son album.
Et je me dis surtout que ça serait dommage que tout ça n’ait pas vu le jour. Qui dit que Stéphane Bergeron et Martin Lamontagne ne nous proposerons pas, eux aussi, quelque chose de personnel dans les prochains mois, ou qu’il ne participeront pas à d’autres projets collectifs.?
Pour l’heure, Karkwa est en pause. Méritée, d’ailleurs. La vie les a menés ailleurs. Avec les risques que cela comporte pour la suivie du groupe. Mais faut faire confiance à la vie. Et à la musique…