Lors de son intervention télévisée du 29 janvier, le Président a offert aux Français une victime expiatoire, « le banquier libéral et apatride », ce qui est à la fois dangereux, faux et inexcusable.
Par Charles Gave
Je sais que Monsieur Sarkozy n’est pas un homme très cultivé. Il n’en reste pas moins que son intervention télévisée du 29 janvier a atteint des niveaux dont je ne soupçonnais pas qu’ils pouvaient être atteints par un ancien avocat, premier homme de la République.
Deux remarques :
1. Alain Madelin a eu le courage de porter le libéralisme politiquement en France depuis des années, et avec beaucoup de panache. Mais Alain n’est pas LE libéralisme. Résumer le libéralisme à sa dimension politique incarnée par un seul homme est cependant plus qu’un crime, une faute car c’est nier son rôle éminent dans l’histoire des idées pour le réduire à une querelle de personnes n’intéressant que notre toute petite classe politique. En fait, la dimension intellectuelle du libéralisme est de loin ce qu’il y a de plus passionnant dans ce qu’il faut bien appeler la philosophie dominante des trois cents dernières années, marquées par les écrits incroyablement prescients d’hommes ou de femmes tels Montesquieu, Bastiat, Tocqueville, Benjamin Constant, Madame de Staël ou plus récemment Raymond Aron, J.-F. Revel ou Boudon. Ramener le libéralisme à son score dans des élections, ou à la gestion au jour le jour de l’économie, c’est montrer que l’on ne comprend rien au mouvement des Lumières, ce qui est un peu gênant pour un Président de la République censé garantir la Constitution dont une grande partie du préambule est d’inspiration profondément libérale (quand bien même ce préambule n’est jamais ni évoqué ni respecté).
2. Le Président a indiqué de plus que la libéralisation du système financier était à l’origine des désastres actuels. Cette simple petite phrase en apparence anodine comporte deux erreurs. La première est que de nombreux libéraux se sont élevés CONTRE cette dérèglementation de la sphère financière (votre serviteur en fait partie), dont il faut se souvenir que notre Président actuel était un farouche défenseur au début de son mandat (voir mon livre : « Liberal mais non coupable »). La deuxième, c’est que les ennuis actuels de la France ne viennent pas d’un excès de dérèglementation des banques (ce qui fut le cas aux USA) mais du simple fait que nos hommes politiques n’ont pas voté un seul budget en équilibre depuis 1973 (Pompidou). Ajoutons à ce laxisme perpétuel le fait que ces mêmes élites tout en suivant une politique budgétaire qui interdisait à notre pays d’avoir une monnaie forte nous ont collé dans un taux de change fixe (l’Euro) avec un pays qui, lui, se réformait et faisait baisser le poids de son État dans son économie et chacun peut comprendre Monsieur Fillon qui, après avoir été nommé au poste de premier ministre, a déclaré: « la France est en faillite », il y a près de cinq ans. Et la France est en faillite bien sûr et uniquement à cause de ses hommes politiques et des mauvais choix qu’ils ont faits et non pas à cause du libéralisme.
Depuis 1981, le poids des dépenses de l’État dans l’économie est passé d’un peu moins de 40% du PNB à un peu plus de 55% de ce même PNB, ces dépenses croissant en moyenne de 1% par an de plus que celles du secteur privé. Accuser le libéralisme des malheurs de la France est un peu comparable à ce que l’on peut lire dans la presse des pays arabes rendant Israël responsable de tous les dysfonctionnements existant dans ces sociétés. Facile, mais faux. Et donc affirmer comme Monsieur Sarkozy l’a fait que les dépenses de l’État allaient en diminuant est ce que l’on appelle une distorsion de réalité dans le meilleur des cas.
Ces deux faits sont très préoccupants car, ou bien le Président ne comprend rien à la façon dont une économie libre fonctionne, ce qui est grave, ou il comprend très bien et dit ce qu’il pense que les Français veulent entendre et leur offre une victime expiatoire « le banquier libéral et apatride », ce qui est à la fois dangereux, faux et inexcusable tant cela rappelle Maurras ou Drumont.
Après ce discours, je ne sais toujours pas pour qui je vais voter, mais je sais avec certitude pour qui je ne vais pas voter.
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