Sauvons les journalistes beaute !

Publié le 31 janvier 2012 par (dé)maquillages @demaquillages

Je sens qu'avec ce billet, je ne vais pas me faire que des amis. Mais ça fait un moment que ça me démange de l'écrire. Je fais forcer un peu le trait, je vous préviens, mais ce n'est nullement contre vous, amies journalistes beauté - au contraire.
Je "fréquente" la presse beauté depuis une bonne dizaine d'années : lecture compulsive de féminins, conférences de presse (côté marque via mon métier ou, grâce à mon blog, côté invités), discussions animées avec des journalistes et attachés de presse..., et j'ai (on a tous) fait un constat : la presse beauté est malade
Pourquoi ?
Parce que l’Annonceur est devenu Roi. Il était déjà bien choyé, mais là, depuis quelques années, ça devient du grand n'importe quoi... Ce n'est pas Roi, d'ailleurs, que je devrais dire, c'est Dictateur.
Du coup, la journaliste beauté est devenue une publicitaire à la solde du Grand Capital.
L'autre jour, je suis tombée sur un article dans un Grazia du mois de novembre dans lequel la journaliste parlait de son expérience dans un spa un peu bizarre où les paroles de l'esthéticienne étaient tellement farfelues qu'elle a écrit "on se demande si on doit ricaner ou partir en courant". Eh bien ça m'a choquée. Positivement choquée. Une journaliste beauté qui dit ce qu'elle pense ? Whaou. On n'est plus habitué*.

Car la journaliste beauté ne dit jamais rien de négatif sur un produit. Encore moins s'il s'agit d'une de ces grandes marques qui font de la pub dans son magazine (= les fameux annonceurs qui la font vivre, car non, ce n'est pas les maigres centimes d'euros que vous dépensez vous, lectrices, pour acheter les magazines, qui rémunèrent la profession). Et ce n'est pas de sa faute, la pauvre journaliste, elle aimerait probablement dire ce qu'elle pense vraiment. Mais elle ne peut pas. C'est son patron qui lui demande de ne pas le faire. Vous avez remarqué ce phénomène, bien sûr. Vous ne pouvez que confirmer.
Enfin, dans 95% des cas.
La journaliste beauté écrit des marronniers (ces articles que l'on retrouve chaque année aux même périodes : "Perdre 3 kg en 1 semaine", "Colorer ses cheveux à la maison", "Assumer ses rondeurs"...), avec si peu de liberté que d'une année sur l'autre, on retrouve les mêmes conseils, les mêmes marques, les mêmes jeux de mots. Probablement peu stimulant intellectuellement, ni très funky. Zéro analyse, zéro esprit critique. D'ailleurs, on pourrait remplacer une journaliste par une autre, ça ne se verrait même pas, puisque leur personnalité est annihilée, elles doivent toutes écrire pareil, ou presque.
Enfin, dans 95% des cas.
La journaliste beauté écrit des pages de catalogue rémunérées par l'Annonceur. Elle doit inventer des articles dont la thématique permettra de placer les actualités de ces marques toute puissantes, avec nouveautés listées en fin de chaque paragraphe ou en fin de papier (ça s'appelle un "shopping"). Et puis de temps en temps, elle tente de placer une autre marque, une petite marque qui ne rémunère pas ses patrons mais pour laquelle elle a eu un véritable coup de foudre, alors parfois ça marche et elle a un pincement au cœur de satisfaction, elle a l'impression d'avoir gagné une bataille, elle est contente de pouvoir faire son métier de journaliste - faire découvrir à ses lectrices une nouveauté vachement sympa, en toute objectivité - et puis, parfois, la petite marque saute parce qu'elle prend la place d'un annonceur qui doit être dans l'article, ou parce que le Directeur Artistique trouve que visuellement, le pack n'est pas assez rose, ou trop rose, quoiqu'il en soit pas assez dans la ligne graphique de la page.
Enfin, dans 95% des cas.
La journaliste beauté ne teste pas les produits pour écrire ses articles.Ça ne sert à rien, elle ne pourra de toutes façons écrire qu'une micro-phrase à leur sujet, dans le paragraphe shopping à la fin de son papier.
Enfin, dans 95% des cas.
Au final, la journaliste beauté fait du publi-rédactionnel. Le publi-rédactionnel, ce sont ces pages de "publicité masquée" payées par les marques, rédigées par une journaliste du magazine (si ce n’est par la marque elle-même), mises en page comme un article du magazine pour que l'on ait l'impression que c'est un article parmi les autres, mais sur lesquelles bien sûr, la journaliste ne peut dire que du bien du produit et de la marque - puisqu'elle est payée par l'annonceur. Eh bien aujourd’hui, même les "vrais" articles ressemblent à des publi-reportages.
Enfin, dans 95% des cas.
Et les lectrices dans tout ça ?

Les lectrices ne croient plus la journaliste beauté. Elles parcourent éventuellement ses articles pour voir ce qu'il y a de neuf sous le soleil, et puis si un produit les interpelle, elles se connectent sur Internet pour regarder l'avis de vraies filles, des filles lambda, next door, qui ont vraiment testé les produits et donnent (en général) leur véritable avis, sur les forums de discussion, sur les blogs.
Enfin, dans 95% des cas.
Alors la journaliste beauté, frustrée, jalouse ?, si elle manque un peu de recul, peut en vouloir aux blogueuses. Ce qui peut tout à fait se comprendre. Celles-ci n'ont "aucune légitimité", ne sortent de nulle part, elles n'ont pas fait d'école de journaliste, certaines ont même un univers vraiment cheap, font des fautes d’orthographe, disent des bêtises parce qu'elles ne vérifient pas leurs sources, ne savent pas se maquiller correctement... En plus, elles apportent à la lectrice toutes ces informations gratuitement - ce qui est une presque une insulte au Métier.
Enfin, dans 95% des cas.
Et pourtant... la journaliste les envie. Car les blogueuses ont une liberté qu'elle n'a plus, car elles peuvent dire ce qu'elles veulent, quand elles veulent, comme elles veulent. Elles informent d'une manière bien mieux adaptée à la demande de la consommatrice d'aujourd'hui, elles peuvent en écrire des tartines sur un seul fard greige, elles peuvent dire que la BB Cream de Garnier n'en a que le nom, que le Généfique de Lancôme n'est pas plus efficace que la Crème Nivea, que la dernière crème minceur Clarins donne de la cellulite et mince, les blogs finissent même par devenir presque plus influents que la presse beauté !!
Enfin, dans 95% des cas.
D'ailleurs tiens, il y a un paquet de journalistes beauté qui ont ouvert un blog pour partager leurs vrais avis et découvertes. Des Magali, des Anne, des Ophélie, des Capucine, des Virginie, des Mathilde... et puis certaines blogueuses / pigistes ont même fini par abandonner le totalement le journalisme beauté pour goûter à plus de liberté ;).
(patchwork blogueuses beauté by Beauté Blog)
Et puis vous savez quoi ?
Il y a malheureusement un autre métier qui se perd : celui
d'attaché de presse beauté. Puisqu'il suffit aujourd'hui à la journaliste d'avoir la liste des 10 plus gros annonceurs du mois, de regarder le résumé de 5 lignes sur leurs nouveautés et de les placer dans son article inspiré du marronnier précédent sans chercher plus loin - on lui demande expressément de ne pas chercher plus loin, et hop, mission accomplie. Alors l'attachée de presse qui veut parler à la journaliste de l'histoire de la marque, ses valeurs, ses engagements, ses petits secrets de fabrication, ou faire découvrir des Petits Poucets de la cosmétique non annonceurs, eh bien la plupart du temps, elle ne peut pas. Ou alors elle peut, la journaliste l'écoute, mais trop souvent, ça n'est suivi de rien.
Enfin, dans 95% des cas.
Alors voilà, j'ai énormément de respect pour les journalistes beauté, je connais la valeur de leur formation, de leur expérience, leur talent d'écriture et d'analyse, je sais que pour certaines d'entre elles - les pigistes, il est en plus parfois difficile de joindre les deux bouts, alors POURQUOI ???
Pourquoi les rédactions beauté réduisent le travail journalistique à de la publicité sans âme, sans personnalité, sans découverte, sans fond, sans critique possible ? Ne pouvez-vous pas dire merde à l'annonceur et retrouver un peu de cette liberté que vous aviez ? Cette liberté perdue dont me parlait avec nostalgie une grande rédactrice beauté que j’interviewais il y a quelques mois, qui aujourd'hui n'a plus que le droit d'écrire des odes aux produits des Grands Annonceurs...
Zut, quoi.
Et la liberté de la presse ?

PS :

Je parle bien là des journalistes
beauté, ce n'est pas forcément le cas pour celles des autres rubriques des féminins. Je caricature un peu la situation, mais pas tant que ça, malheureusement, demandez vous-mêmes aux journalistes et aux attachés de presse.
Et puis au cas où ce ne soit pas complètement clair : je suis à 100% du côté des journalistes et des attachées de presse, je "dénonce" juste ici leurs conditions de travail et les patrons de presse qui jouent le jeu trop commercial des annonceurs.
Je ne dis pas non plus que les annonceurs n'ont que des mauvais produits, ils en ont parfois de très bons et il est normal que la presse en parle, ce serait juste bien qu'elle puisse le faire avec plus de liberté.
* Ce n'était pas un annonceur non plus, hein, juste un petit spa de province inconnu, sinon elle n'aurait probablement pas pu faire cette remarque ;)