Dans le contexte actuel de crise financière, économique et sociale, les politiques de rémunérations au sein des Banques de Financements et d’Investissements sont accusées d’avoir encouragé les prises de risques excessives et imprudentes.
Ces politiques auraient ainsi précipité la crise, et se sont dès lors retrouvées au centre des débats économiques. Les bonus indécents versés par les banques à leurs traders devinrent un symbole emblématique des dérives de la finance. Sous la pression de l’opinion publique, les hommes politiques, ainsi que les régulateurs, pouvaient difficilement rester immobiles. Réunis lors des Sommets de Londres et de Pittsburg en 2009, les autorités de surveillance et de réglementation, dont le G20 et le Comité Européen des Contrôleurs bancaires (CECB) adoptèrent de nouvelles règlementations visant à encadrer les rémunérations des dirigeants et des traders, avec pour objectif de mettre terme au caractère irresponsable des politiques de rémunérations du secteur bancaire.
Au niveau européen, le Parlement a conclu un accord politique en juillet 2010. Cet accord constitua le socle du Pilier 3 du Comité de Bâle, plus connu sous le nom de « CRD III » (Directive CRD III). Cette directive fixe désormais les normes établies par le Conseil de Stabilité Financière en matière de rémunérations. Les nouvelles réglementations ont pris effet à partir du 1er Janvier 2011 et leurs applications sont contrôlées et supervisées par le Comité d’Autorité Bancaire Européenne (ABE) et par les instances nationales de supervision (ACP en France). En termes d’impact, une étude Sia Conseil a permis de chiffrer que la chute des bonus des traders pourrait aller jusqu’à 50% (cf. documents attachés ci-dessous).
Image 1: La procédure d’exécution du CRD III
L’application de cette directive européenne présente deux enjeux principaux :
Le premier enjeu concerne le manque d’harmonisation entre les différentes juridictions responsables de l’application de ces nouvelles réglementations. Les politiques de rémunération fixées par la directive CRD III doivent être appliquées « sans porter préjudice aux principes généraux établis par le contrat de travail et le droit national ». Au niveau des juridictions nationales toutefois, les instances de régulation transposent différemment ces règles et, par conséquent, les textes de lois issues de la directive européenne diffèrent d’un pays à un autre. Aussi, les différents pays de la zone euro n’ont pas encore tous atteint la même maturité dans l’application de la directive CRDIII. Par exemple, la France fut réactive pour la transposition en droit français de ces recommandations via l’arrêté du 13 décembre 2010, alors qu’en Juin 2011 l’Italie travaillait toujours sur l’adaptation des principes de CRD III dans ses propres textes de loi.
Le second enjeu repose sur la non-uniformité de l’application de la directive entre les différentes zones géographiques. Cet enjeu est d’autant plus impactant qu’il s’inscrit dans un cadre international très compétitif. Certains pays sont à même d’offrir des rémunérations plus intéressantes, ce qui accroit la crainte d’une quête des talents injustement altérée. Les contraintes qui pèsent sur les banques sont plus fortes au sein de l’Union Européenne qu’aux Etats-Unis où seules des recommandations de bonne conduite ont été mentionnées, et sans que cela ne figure dans leurs textes de lois. En Asie, les places financières échappent encore à toute réglementation, avec des bonus versés entièrement en cash et parfois même garantis sur plusieurs années.
Malgré la connaissance de ces distorsions de concurrence, les banques françaises se sont globalement bien soumises aux nouvelles réglementations de la directive CRD III (dont les principales sont détaillées ci-dessous).
Image 2: Application de la règlementation dans les grandes BFI françaises.
Les composantes fixes et variables de la rémunération totale doivent être ajustées de façon appropriée. Cet amendement contribue à augmenter la part des salaires fixes dans la rémunération totale et rendent moins flexible les charges salariales. Ce transfert entre la rémunération variable et la rémunération fixe induit de facto une réduction potentielle de la prise en compte du lien entre la rémunération et le risque.
Selon les principes du CRD III, 50% de la rémunération variable (différée ou non) doit être constitué d’actions ou de produits dérivés d’actions. La plupart des banques ont appliqué cette règle, malgré la chute des actions des banques. Environ 45% de l’ensemble des bonus versés par les quatre premières banques françaises ont été délivrés sous forme d’actions ou d’autres équivalents non liquides[1].
Un autre principe de la directive CRD III exige que 40% à 60% des indemnités variables soit différé sur une période de trois à cinq ans, en particulier pour les hauts salaires. Le paiement différé des bonus permet aux banques d’étaler la prise de risque dans le temps, puisque la part différée du bonus peut être diminuée en fonction de l’évolution des risques et des résultats de la banque. La plupart des banques ont respecté ces obligations: en moyenne, 61% du montant des bonus versés en 2011 par les quatre premières banques françaises a été différé[2].
CRD III impose également que la rémunération variable soit « revue à la baisse lorsque la performance financière est faible ou négative », en prenant en compte à la fois la rémunération pour l’année en cours, mais aussi les rémunérations différées des années précédentes, via les malus ou les clawbacks. Bien que le malus et le clawback permettent de lier la rémunération différée à la performance future, il existe des difficultés pratiques en termes d’application de ces outils. En effet, les lois du travail de certains pays membres interdisent l’utilisation de malus ou de clawback. Ainsi, l’application de cette facette de la directive CRD III, corrélée à certains principes de droit national, est souvent très complexe.
Enfin, les bonus garantis ne peuvent être accordés plus d’une année, ne peuvent être octroyés que dans le cadre de l’embauche de nouveaux salariés et sont limités à la première année d’embauche.
Pourtant, la compétition accrue de la recherche de nouveaux talents et les difficultés rencontrées sur le marché du travail ont conduit les banques à augmenter l’utilisation des bonus garantis. Le futur nous confirmera si les changements de cette année en matière de bonus garantis étaient effectivement liés ou non à l’état du marché actuel. 2011 fut une année clé pour toutes les banques, dans un contexte d’annonce de réduction d’effectifs et de restructuration.
Alors que cette réglementation est en cours d’application, certains se demandent si cette directive limite réellement les prises de risque excessives et imprudentes.
Une étude doit être menée afin d’identifier finement les profils de risque pour les banques, puisque les principes de rémunération s’appliquent aux dirigeants et aux employés dont l’activité aurait un impact significatif sur le profil de risque de la banque. Il existe d’ores et déjà une grande variété de définition des profils de « preneurs de risques matériels » (MRT), et cela rend difficile les comparaisons d’application de la directive entre les banques. Un effort particulier doit donc être réalisé pour identifier, gérer et différencier les rémunérations des preneurs de risque, afin de limiter les prises de risque trop imprudentes.
Selon l’Institut International des Finances, la plupart des banques ne sont pas encore capables de calculer correctement et finement les profits ajustés au niveau de la prise de risque. Plus de recherches doivent être faites quant à l’exactitude des données sur les risques (métriques et méthodologies) afin de calculer les prises de risque qui en découlent. Aujourd’hui, toutes les banques étudient les enjeux liés aux risques.
Le principal objectif de la directive CRD III est de proscrire les méthodes de rémunération qui encouragent la prise de risque excessive et la recherche de résultat à court terme, et en ce sens, de nombreux progrès ont été réalisés depuis l’entrée en vigueur de la réforme, notamment grâce au différé, au malus et au clawback. L’impact final de ces changements dans le secteur bancaire est aujourd’hui estimé entre 25 et 45%. Les banques devront donc, à l’avenir, être encore plus attentives aux effets des modifications des politiques de rémunération sur leurs Business modèles.
2012-01-26_ La Tribune_ Les bonus des traders français pourraient chuter de près de 50% & Brève Livret A2012-01-26_ Le Monde_ Les traders des banques françaises perdraient près de 50% de bonus[1] Selon le rapport français 2010 sur les Rémunérations, la proportion en actions varie entre 34% pour la SG, 43% pour Natixis, 50% pour BNPP et 51% pour CA.
[2] Selon le rapport français 2010 sur les rémunérations, les indemnités différées sont de 46% pour CA, 57% pour SG, 67% pour Natixis et 73% pour BNPP.
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