Avec «Sans objet», vous avez créé la première pièce «pour un robot et deux acteurs». Comment en êtes-vous arrivé là ?
Le point de départ de ma réflexion était notre rapport grandissant avec la technologie. Un rapport complexe, et inévitable : la technologie, on l’aime et on la déteste, elle nous sert et elle nous fascine, on la subit et on lui résiste. à partir de là, je me suis intéressé au robot – pas au robot fantasmé, mythologique, mais au robot concret, tel qu’il est apparu sur les chaînes de montage automobile à la fin des années 1960. Un bras articulé autour de six axes, tel qu’il en existe encore aujourd’hui. En commençant à travailler avec ce «dinosaure», j’ai réalisé que, étant moi-même né au début des années 1970, nous avons vécu tous deux des vies parallèles et, tout ce temps, j’ignorais qu’il était là. En déplaçant ce fragment du monde sur la scène, j’ai voulu voir comment la machine changeait notre rapport au monde en sollicitant notre capacité d’adaptation.
Quelque part, le robot n’est-il pas devenu un acteur à part entière de la pièce ?
Plus que ça, j’en ai fait l’acteur principal. Les deux protagonistes humains ne sont finalement que les seconds rôles. Mais comme le disait Meyerhold, «les meilleurs acteurs doivent jouer les seconds rôles». De fait, le robot, objet animé en mouvement, s’impose comme moteur de l’action, et en ce sens il devient acteur. La masse de fer indique, et nos deux contemporains suivent. Vu ainsi, la technologie s’intercale entre les hommes et change aussi le rapport entre eux.
Est-ce en quelque sorte un message que vous cherchiez à faire passer?
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une pièce à message. «Sans objet» n’est pas une énième critique du progrès technologique – avec «Les Temps modernes» de Chaplin et les «Playtime» et «Mon Oncle» de Tati, tout était dit. Non, mon propos était de revenir sur un terrain physique à l’heure où nous sommes entourés de virtuel. En amenant physiquement un robot de 2 tonnes sur une scène où il n’est pas à sa place, j’ai voulu montrer en quoi l’homme et le machine partage un même vocabulaire, sans recours au verbe.
Avec un peu d’imagination, ne peut-on prêter une vie, une âme à ce robot ?
Si, tout à fait. L’anthropomorphisme est quelque chose d’inhérent à toute création humaine. Pendant la phase d’expérimentation avec le robot, je cherchais à contrer l’image de la machine brutale et j’ai été surpris par la latitude du mouvement, la délicatesse des courbes qu’on pouvait obtenir de ce bras articulé. Cela a fait naître une danse chorégraphique, une dramaturgie (au sens de science de l’action) où, inévitablement, le burlesque trouve aussi toute sa place. On s’approche du spectacle épique, qui raconte une aventure humaine. Il sollicite le spectateur pris entre des impressions fortes et une profusion de détails dans un cadre plutôt minimaliste. Au fil de la pièce, le robot s’humanise, les hommes se mécanisent. Ce faisant, j’ai voulu semer le doute dans le regard du spectateur (qui manipule qui?) et, partant, mettre en marche son imagination. •
Propos recueillis par Sébastien Le Jeune
(*) «Nous sommes les robots», d’après Kraftwerk, précurseurs de la musique électronique.
«Sans objet», ce soir à 20h30, demain et jeudi à 19h30, vendredi à 20h30, TnBA, grande salle Vitez, 5-25€
«Tout le monde veut vivre», dès ce soir et jusqu’à vendredi à 20h, TnBA, salle Jean-Vauthiez, 5-25€