Jeu d'eau (2) : Géopolitique américaine du Pacifique : la Chine, vraiment ?

Publié le 30 janvier 2012 par Egea

Je poursuis mes réflexions à la suite du bon sujet proposé l'autre jour par PTH. Pour m’intéresser au dispositif américain dans le Pacifique ouest, aux objectifs chinois et au pion central qu'est Taïwan.

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1/ L'article de Judy Dempsey (référence dans le billet précédent) est typique d'une certaine opinion américaine qui considère la Chine comme le nouveau challenger des États-Unis. Après tout, à lire le dernier document de stratégie américaine (analyse ici sur égéa), il s'agit bien de l'option pacifique. Pardon, de l'option du Pacifique.

2/ Du point de vue américain, il y a forcément un mimétisme avec l'expérience de la 2ème guerre mondiale. La chose est peu perçue en Europe, où la 2GM est surtout l'affaire du débarquement de Normandie, voire des combats de Stalingrad. Et le conflit entre les deux grands, au cours de la guerre froide, a renforcé ce tropisme européen. Pourtant, les États-Unis ont toujours observé l'autre océan.

3/ Et la montée de leur puissance, au XIX° siècle, y a connu plusieurs hauts-faits.

  • Qu'on se souvienne tout d'abord de l'intervention du Commodore Perry qui, en 1853 puis en 1854 (l'escadre des bateaux noirs est composée pour moitié d'Américains, pour moitié d'Européens, y compris des Français) force l'ouverture du Japon au commerce extérieur.
  • Les États-Unis participent, aux côtés des Britanniques, des Russes et des Français, à la deuxième guerre de l'opium en Chine de 1856 à 1860 : ils participent donc aux traités inégaux, et à l'installation de concessions : relisez le Lotus bleu, et remarquez l'horrible Américain qui est à Shanghai....
  • D’ailleurs, un peu plus tard, la guerre des Boxers (1899 à 1901) donna lieu à un haut fait, celui des 55 jours de Pékin (Ah! Ava Gardner !).
  • Tout au nord du Pacifique, l'Alaska est acheté aux Russes en 1867 : on n'y voit le plus souvent qu'un accès au pôle nord : c'est oublier la rive sud, et notamment les îles Aléoutiennes qui closent la mer de Béring, jusqu'au Kamtchatka.

4/ Mais la géopolitique américaine dans le Pacifique s'est poursuivie par une progression le long des archipels du Pacifique nord : Hawaï, Midway, Wake, Guam.

  • Tout commence à Hawaï, la plus grande des îles Sandwich : la France y installe un agent consulaire en 1837. Mais le jeu des commerçants (une compagnie de fruits) américains, appuyés par le débarquement d'une compagnie de fusiliers-marins, aboutit à la déposition de la dernière reine en 1893. Une république "bananière" (au sens propre) est proclamée, annexée en 1898 par les États-Unis. Cette île donne la position la plus centrale du Pacifique.
  • Midway, plus à l'ouest, est découverte en 1859 par un américain.
  • Un peu plus à l'ouest, l'îlot de Wake, est reconnu par une expédition américaine en 1840. L'île est annexée en 1899. Une base militaire est bâtie en janvier 1941.
  • L'île de Guam est vendue aux États-Unis par l'Espagne en 1898. C'est la plus méridionale de l'archipel des Mariannes, qui sont placées dans le Pacifique ouest, entre Japon et Nouvelle Guinée. Les îles du nord avaient été vendues à l'Allemagne, occupées par le Japon dès 1914, et reprises par les US en 1944. Guam demeure une importante base américaine.
  • Vous croyez qu'à la suite de la doctrine Monroe, les États-Unis défendaient les indépendances contre les puissances coloniales européennes ? Peut-être un peu plus tard, mais pas à la fin du XIX° siècle. En effet, en 1989, ils interviennent aux Philippines pour soutenir la guerre d’indépendance contre la puissance espagnole : la guerre hispano-américaine est, traditionnellement, considérée comme celle qui marque l'émergence de l'Amérique comme puissance mondiale. Mais si les Américains gagnent, l’Espagne vend la colonie aux Américains : elle change seulement de maître ! En 1899, une guerre entre indépendantistes et Américains se résout à l'avantage de ces derniers, qui n'hésitent pas, comme on dit pudiquement. Cela explique d’ailleurs qu'en 1942, le pays passe facilement sous domination japonaise (une répression féroce) : Mac Arthur est obligé de se réfugier en Australie et ne reprend pied que trois ans plus tard. Le pays obtient son indépendance en 1946.

5/ Guam symbolise les îles de l'ouest du Pacifique : passées de l'Espagne à l'Allemagne à la fin du XIX° siècle, occupées par le Japon, elles sont libérées par les États-Unis lors de la guerre du Pacifique : Le reste des îles Mariannes, les îles Carolines, les îles Marshall passent ainsi sous domination américaine en 1945. C'est la rnçon del a victoire, mais aussi un dispositif pour prévenir le militarisme japonais, à l'époque.

6/ Cette progression se poursuit lors de la guerre froide :

  • installation dès 1945 de bases militaires permanentes au Japon (dont une sur l'île d'Okinawa, la plus méridionale de l'archipel des îles Amami, qui "joint" le Japon à Formose (Taïwan).
  • Soutien du gouvernement de Chiang Kai-chek (Kuomintang) à Formose à partir de 1949 et maintien de relations commerciales et militaires après 1971, lorsque les Nations-Unies reconnaissent la RPC comme représentant permanent de la Chine au CSNU
  • guerre de Corée de 1950 à 1953 et soutien à la Corée du sud depuis
  • guerre du Vietnam de 1962 à 1975
  • création de l'ANZUS en 1951, même si le traité est suspendu en 1980

7/ Aujourd'hui, on peut donc considérer que les États-Unis :

  • contrôlent indirectement la première ceinture d'îles face à la Chine : cette chaîne dessine les deux mers de Chine.
  • mer de Chine du Nord, encadrée par la Corée, le Japon, les îles Amami (îles Riou Kiou avec Okinawa) et Taïwan
  • mer de Chine du sud encadrée par Taïwan, les Philippines, Brunei, la Malaisie et le Vietnam.
  • ils contrôlent également la deuxième ceinture, plus éloignée : elles lient le Japon, les îles Ogasawara (JAP), les îles Vulcano (JAP), les îles Marianes, les îles Carolines, puis Nouvelle Guinée et Australie.

8/ Au fond, face à ce dispositif, on a à l'esprit le mot d'endiguement maritime (containment). Quoiqu'on puisse dire des velléités chinoises, Pékin doit logiquement chercher à alléger cette pression, cette contention. On remarque que le point clef du dispositif, reliant les deux mers de Chine, est Taïwan : d'ailleurs, c'est le maillon le moins solide de la chaîne américaine, et c'est très logiquement là que la Chine appuie le plus possible : faire sauter le verrou de Taipei lui donnerait l'air maximum.

9/ Mais les ambitions chinoises et leur puissance régionale inquiètent les acteurs locaux, qui préfèrent la domination douce et lointaine des Américains, que la férule proche et moins douce des Chinois. Ceci explique les appuis vietnamiens, philippins, japonais et coréens au dispositif américain.

O. Kempf