Près de seize millions de téléspectateurs ont suivi l’émission spéciale en
direct de l’Élysée. Analyse contrastée de l’intervention du chef de l’État.
Il finira son quinquennat comme il l’a commencé, avec une boulimie parfois désordonnée et presque
confondante.
Je passe donc en revue les points qui m’ont paru réussis ou pas réussis.
I. Sur la forme
La pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy a changé depuis fin 2010. Il est devenu plus "présidentiel" et plus "professionnel". Est-ce en raison du départ de l’Élysée de Claude Guéant ? L’exercice de
communication auquel il vient de se livrer ressemble beaucoup aux interventions télévisées à vocation pédagogique du Président François Mitterrand.
I.1. Réussi
Nicolas Sarkozy a paru plutôt posé, calme et déterminé, maîtrisant bien ses dossiers malgré d’évidentes
imprécisions d’arrondis vaguement intentionnelles (parler de 21% au lieu de 21,2%, de 1,5% au lieu de 1,6% etc.). Il a même montré une certaine authenticité (voire sincérité) lorsqu’il admet que
son mandat est passé très vite mais qu’il ne fallait pas pour autant qu’il durât sept ans comme avant 2002 car les choses bougent très vite et il faut cette respiration démocratique plus fréquente.
Cette prestation télévisée lui permet également de redonner à ses troupes un peu de grain à moudre (comme l’a
fait François Hollande le 22 janvier 2012), une remobilisation nécessaire après des pseudo-propos off sur
sa préférence pour un séjour dans un carmel à l’animation d’une section de l’UMP.
I.2. Pas réussi
Il y a une inégalité de traitement (même si le Conseil supérieur de l’audiovisuel va le décompter de son
temps de parole) par rapport aux autres candidats, en s’autorisant une retransmission en direct sur neuf chaînes de télévision un dimanche soir, heure de la semaine de très grande audience.
II. Sur la méthodologie
En 2009, Nicolas Sarkozy avait envisagé de faire une pause législative en 2011. Il n’en a rien été et il
gouvernera jusqu’au dernier jour du quinquennat. À sa décharge, la situation économique internationale est telle qu’il ne pouvait raisonnablement pas faire perdre six mois à un an au pays pour
réagir. C’est le principe d’avoir des responsabilités : il y aura toujours des personnes qui critiqueront d’avoir fait quelque chose et d’autres de ne rien avoir fait.
II.1. Réussi
Nicolas Sarkozy explique donc sa précipitation par la nécessité de ne pas rester les bras croisés face au
chômage qui sévit en France. Il a expliqué la logique des différentes séquences depuis la crise d’août 2011 : sauver d’abord les pays les plus exposer (Grèce, Espagne, Italie), puis réduire le déficit dû à l’effondrement de la croissance (les deux plans Fillon), et maintenant que la crise de la dette souveraine est finie, prendre des mesures économiques pour
relancer la croissance.
Ce nouveau train de mesures va permettre à Nicolas Sarkozy de reprendre l’initiative et surtout, la maîtrise
du temps médiatique qu’il avait perdue depuis septembre 2011, date de la primaire socialiste. C’est très habile de sa part puisque d’un côté, en reprenant quelques propositions du candidat François Hollande et en ayant la possibilité de légiférer encore, il oblige l’opposition à aller sur son terrain, et d’un autre côté, il apparaît
sous l’image d’un homme d’action qui ne se contente pas que du verbe (reproche qui lui a souvent été fait).
II.2. Pas réussi
Il y a un réel surréalisme à vouloir légiférer sur des réformes de très grande ampleur (code du travail, TVA,
etc.) dans la précipitation au mois de février 2012, soit deux mois avant l’échéance nationale cruciale en
France, d’autant plus que beaucoup des décisions annoncées ne pourront être mises en application qu’au début du prochain quinquennat.
Par ailleurs, la position d’être un Président jusqu’au bout et pas encore candidat est certainement teintée
d’hypocrisie d’autant plus patente qu’il a été très clair sur ses intentions : « J'ai un rendez-vous avec les
Français, je ne m'y déroberai pas. ». Une telle phrase signifie explicitement qu’il est candidat !
III. Sur le fond
L’intérêt de l’intervention réside toutefois sur le fond des décisions annoncées qui apportent, globalement,
une vision assez brouillonne mais parmi lesquelles certaines me semblent adaptées à la situation.
III.1. Réussi
D’un point de vue historique, c’est sans doute la taxe sur les
transactions financières de 0,1%, applicable unilatéralement au 1er août 2012, qui est la décision la plus importante et qui montre également un volontarisme élevé de la part
de Nicolas Sarkozy. Il a voulu prendre date avant tout accord européen, histoire de booster les négociations européennes sur le sujet. Après tout, Jacques Chirac avait bien décidé unilatéralement d’une taxe sur les billets d’avion et les autres pays l’ont suivi
très rapidement (pour financer un fonds d’aide contre la tuberculose, le paludisme et le sida, présidé
actuellement par Philippe Douste-Blazy).
La création dès février 2012 d’une banque, filiale d’Oséo, chargée exclusivement de financer les investissements des PME et TPE (avec un fonds doté d’un milliard d’euros) me semble aussi aller dans le bon sens même si personne n’est dupe
sur le fait que ce n’est qu’un moyen de couper l’herbe sous les pieds de son principal concurrent.
L’incitation accrue au recrutement des apprentis dans
les entreprises de plus de 250 employés va également dans la bonne direction, en relevant le seuil à 5% (au lieu de 4%) et en doublant les sanctions en cas de non respect du quota. Il est curieux
que Jean-Luc Mélenchon ait critiqué une telle décision quelques minutes après son annonce alors que
lui-même, comme Ministre délégué chargé de l’apprentissage sous le gouvernement Jospin, n’avait cessé de
chercher à favoriser le recrutement des apprentis.
Enfin, l’augmentation de 2% de la CSG sur les revenus
financiers (passage de 8,2 à 10,2% qui rapportera 2 milliards d’euros) me paraît intéressante sans être à mon sens suffisante dans la taxation des produits du capital.
III.2. Pas réussi
La mesure incompréhensible de l’augmentation de 30% des
autorisations de construction. Une mesure qui ne coûte rien à l’État, qui, selon le gouvernement, devrait encourager la construction de nouveaux logements, mais qui risque de remettre en
cause toute la réglementation sur l’urbanisme, en particulier pour la préservation de l’environnement (littoral, montagne etc.). J’ai pensé tout de suite à la Grèce où les propriétaires
construisent des étages supplémentaires à leur maison plusieurs années après avoir emménagé (la plupart des bâtiments ont des tiges de béton armé à l’air libre).
La TVA qui ne dit pas son nom (social, emploi ?), outre le fait qu’elle n’est pas pertinente (lire ici), a été très mal défendue par Nicolas Sarkozy (et les journalistes ensuite), car l’idée, c’était que la
baisse des charges patronales (5,4% de moins, la partie familiale), soit 13 milliards d’euros, entraîne une baisse du prix HT et donc, l’augmentation
de 1,6% de la TVA (applicable au 1er octobre 2012) ne devrait pas générer d’inflation (moins de 1%), comme cela s’est d’ailleurs passé en Allemagne (avec une hausse de 3% de la TVA). Or, les journalistes commentent cette mesure comme une baisse du
pouvoir d’achat, ou comme un effort consenti par les consommateurs (donc injuste sur le plan des revenus) alors que théoriquement, cela ne devrait induire aucun changement sur le prix TTC (de
produits fabriqués en France). On se demanderait même si Nicolas Sarkozy a bien compris le principe de cette mesure pour la défendre aussi mal. Par ailleurs, cela n’apportera pas vraiment de
compétitivité pour le commerce extérieur (où le prix, de toute façon difficilement concurrençable, n’est d’ailleurs pas le seul critère de conquête d’un marché).
La baisse des charges patronales de la branche famille aurait cependant pu être financée directement par la
fin des exonérations des heures supplémentaires qui coûtent 20 milliards d’euros.
Serait-ce l’équivalent libéral des "contrats de génération" de François Hollande ? Les contrats compétitivité-emploi proposés par Nicolas Sarkozy sont une nouvelle usine à gaz qui mettent à mal le principe de prédominance des lois ou des
accords de branches sur les accords d’entreprise et qui vont court-circuiter les contrats individuel sans l’accord personnel de l’employé. C’est une remise en cause complète du code du travail
qui paraît d’ailleurs électoralement suicidaire en ce sens que ces contrats vont concerner la durée du temps de travail et le niveau des salaires. Étrangement, le mot "flexibilité" n’a même pas
été prononcé (si je ne me trompe pas) alors que si la philosophie générale peut être acceptable (dans le but de réduire les licenciements, adapter les entreprises en cas de surcharge ou de baisse
des commandes), il est fort probable qu’une telle mesure entraînera de nombreux abus car la situation du chômage fait que le rapport de forces ne sera pas en faveur des employés et parallèlement,
elle pourrait rallumer la guerre sociale à l’intérieur des entreprises.
Il y a également une absence d’argument sur le maintien des 35 heures : les entreprises, qui ont été
profondément bouleversées par la mise en place des 35 heures il y a dix ans ne peuvent se permettre un nouveau bouleversement des règles du jeu dans un sens ou dans un autre (la proposition de
venir aux 37 heures de Dominique de Villepin ou Hervé Morin ne me paraît donc pas très opportune).
Conséquences…
Nicolas Sarkozy réussira-t-il à enrayer les pronostics défavorables dans les intentions de vote avec une
telle intervention ? Je serai bien incapable de le prévoir. L’opinion publique (dite dans sa globalité un peu généralisante) pourrait rejeter ce qu’elle penserait comme une ultime
supercherie, ou au contraire, dans un éclair de frayeur, redonner confiance à un homme qui l’a perdue depuis belle lurette. Le retournement en faveur des gaullistes de juin 1968 est un aspect
historique qu’il faut prendre en compte et savoir parfois l’anticiper.
Ce qui est amusant, c’est l’élément de langage (lancé trop tôt avec Alain Juppé) comme quoi le candidat François Hollande serait arrogant. A priori, pour un homme régulièrement
critiqué pour son indécision et sa mollesse, l’arrogance lui redonnerait un petit coup de dureté qui pourrait lui être, au contraire, profitable. Cette combativité qu’on pouvait imaginer
inexistante jusqu’à son meeting du 22 janvier 2012, a pourtant relancé le candidat socialiste.
D’ailleurs, l’arrogance est un sentiment partagé aussi avec l’ego démesuré chez tous les candidats à une élection présidentielle. Comment ne pas être arrogant quand on prétend qu’on est le meilleur
candidat et qu’on va mieux gérer la France, mieux présider la France que les autres, que les concurrents ? L’arrogance est en quelques sortes consubstantielle à une candidature à la
magistrature suprême.
La question pour les 22 avril et 6 mai 2012 reste cependant celle-ci : faut-il gouverner par oukases ou
dans un souci de concorde nationale ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (30 janvier
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Arrogance contre
arrogance.
Entre deux
arrogances.
Discours
de Toulon.
Grand
oral.
Jusqu’au bout
de son mandat.
Avant
tout, Président.
Dictateur ?
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/nicolas-sarkozy-la-version-adroite-109124