« Verba volant scripta manent » : les paroles s’envolent, les écrits restent. Nous avions cru Adolf Hitler, Führer de l’Allemagne Nazie, mort suicidé le 30 avril 1945 dans les ruines fumantes de sa Chancellerie à Berlin. Sa dépouille est demeurée introuvable pour le monde.
« Mein Kampf » livre-recueil de l’idéologie nazie, responsable de plus de 60 millions de morts au lendemain de la seconde guerre mondiale, revient hanter l’Europe soixante ans après. Et si finalement Adolf Hitler n’était pas mort ?
C’est du moins la question à laquelle nous sommes contraints de répondre, dèlors que ses écrits tomberont dans le domaine public le 1er janvier 2016 et, au moment où le Land de Bavière –détenteur des droits- éprouve les pires difficultés à étouffer la diffusion de ces derniers en repoussant les arguments des défenseurs de la liberté d’expression.
Terriblement surprenante en effet, cette position qui veut que l’on puisse lire ou acquérir Mein Kampf dans sa version originale (NDRL : de l’époque) et, dans le même temps, empêcher toute réédition sans que celle-ci soit assortie d’une notice ou d’un texte faisant référence aux atrocités commises au nom de l’idéologie nazie prônée par Adolf Hitler et clairement explicitées dans son livre.
Si la France a adopté la même philosophie sur ce brûlot, elle laisse la consultation des tomes I et II disponible sans restriction sur des sites étrangers via internet. Le livre traduit en français tombera dans le domaine public en 2054, ce qui lui laisse encore le temps nécessaire pour modifier sa propre législation sur le sujet.
Près de 70 ans après la fin d’une guerre terriblement meurtrière, et tenant compte de l’évolution des sociétés qui ont directement été concernées par celle-ci, comment justifier d’une protection aussi rapprochée entourant ces écrits ? Ces mêmes sociétés, démocratiques depuis si longtemps, n’ont-elles pas été capables d’instruire et d’informer suffisamment leurs opinions publiques pour avoir besoin de les préserver des inepties contenues dans Mein Kampf ?
Visiblement non, ou du moins en surface… Car si l’on se réfère à l’article du psychosociologue Alexandre Dorna : la crise financière, la défiance des peuples envers leurs élites ou la perte de repères sociaux et familiaux, fragilisent les populations qui encensent le besoin de liberté tout en recherchant une figure ou une pensée derrière laquelle se ranger. De là à l’endoctrinement, il n’y a qu’un pas. Pour s’en convaincre, il suffit de constater avec quelle rapidité les idées défendues par le Front National ont imprégné la société française.
Marc Ferro, historien de référence, ne dit pas autre chose en appelant nos démocraties à rester vigilantes face à la diffusion d’écrits violents, accusateurs et profondément monstrueux par les théories qui y sont décrites. Il invite à ne pas laisser d’espace vital aux fanatiques, à toutes les formes de fanatisme. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, tout autoriser au nom de la sacro-sainte liberté d’expression est un appel non dissimulé au suicide collectif de notre conscience et de notre devoir de mémoire face aux atrocités perpétrées.
La transmission orale de celles et ceux qui ont vécu cette période ou subi cette rage de destruction, les livres de témoignages ou d’explication, les émissions ou documentaires consacrés au sujet, les commémorations, les musées, tout cet ensemble construit et érigé en barrière contre Hitler, le nazisme et la barbarie dont ils ont été les auteurs, n’auront pas suffi aux hommes d’aujourd’hui (pourtant mieux informés) de se prémunir contre ce cancer de l’Humanité.
Partant de ce constat, il demeure très difficile de considérer Mein Kampf comme une littérature ordinaire. Une explication de texte ou un accompagnement historique apparait donc indispensable.
Oui, l’Homme moderne doit user de la liberté, de toutes ses libertés. Mais l’Homme moderne doit aussi consentir à voir certaines de ses libertés amoindries du moment où il n’est pas en mesure de contrôler ses propres pulsions et donc, de chasser l’ensemble de ses vieux démons.
L’Homme est capable du meilleur comme du pire. Ce pire, l’Homme a été capable de l’exercer et de le retourner contre d’autres hommes. A ce titre, il convient de le préserver en ayant le courage de le protéger contre son gré.
A la manière de Voltaire : « Et qui pardonne au crime en devient complice ».