Les têtes rousses sont celles de trois Irlandais, deux sœurs et un frère, chassés de leur pays en 1847. Pendant que l’aînée de 19 ans prend très au sérieux son rôle d’ainesse, le trio accoste à Montréal après un périple bouleversant sur un voilier où s’entasse la chair humaine de leurs compatriotes. La plus grosse part du roman ira cependant à l’acclimatation d’une petite population irlandaise dans un quartier de Montréal qui leur sera attribué dès leur arrivée.
Dans un premier temps, le voyage en mer s’apparente à plusieurs de ces expéditions où la grosse misère règne accentuée par la terrible angoisse devant l’inconnu. Déracinés, voguant sur l’eau dans les pires conditions, ces périples de boat people se ressemblent, en tout cas, rien dans cette histoire ne m’est apparu différent de la traversée vécue dans le récit Ru de Kim Thùy par exemple.
L’intérêt du roman repose sur l’approfondissement de la psychologie des personnages, puisque la trame portant sur l’exil d'une famille est assez mince. J’ai réussi à m’attacher au trio, mais ce fut progressif et un peu ardu pour plusieurs détails qui seraient astreignants à tous énumérer. L’auteure a fait de l’ainée, Bridget Bushell, son personnage principal, un être fait d’ambiguïtés et d’ambivalences. Cette femme que l’on veut nous laisser croire forte, avec un ascendant naturel sur les autres, surtout sur son frère et sa soeur, est timide et doute énormément de sa valeur.
J'ai eu de la difficulté à croire à cette autorité naturelle, en général mais particulièrement envers le frère, surtout après que celui-ci ait pris les choses en mains avec vigueur pendant le voyage. J’ai trouvé douteuse sa soudaine soumission, une fois les trois installés dans leur nouveau home. Si j’avais eu accès à ses pensées plus intimes, peut-être en aurais-je saisis les raisons. Faut dire que le titre, les têtes rousses représentées par trois médaillons suggère que trois caractères seraient fouillés, quant en fait le frère et la sœur sont plutôt des faire-valoir de l’ainée.
Cette dernière se définira plus nettement avec la maternité, un personnage de mère de l’époque auquel j’ai cru. L’exposition des moyens de subsistance d’alors est une mine de renseignements. Un homme, Denis traverse l’histoire aux côtés de Bridget. Ce personnage bien incarné, éprouvant des émotions claires et nettes, est le plus limpide à mon avis et donc le plus intéressant. Je m’y suis d’ailleurs attachée rapidement.
Il n’est jamais facile de raconter une vie, de l’enfance à la mort, surtout quand on désire toucher à d’innombrables personnages, ancêtres, enfants, petits-enfants, ce qui transforme l’histoire en saga. Malgré ce que j’appelle quelques maladresses, j’ai pris du plaisir à ma lecture qui a apporté à mon attention un pan d’histoire assez méconnu, l’immigration irlandaise au Québec. N’est pas étranger à mon plaisir non plus, une narration sur un ton posé, calme et serein, et qui sait éclairer à grands traits inspirés le décor humain et la nature urbaine.
Les têtes rousses - Claude Lamarche, Éditions Vents d'Ouest, 268 pages, septembre 2011.