Les chômeurs attendront
Guillaume DuvalArticle Web – 26 janvier 2012 À lire également
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Près de 5 millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi, mais les réponses du gouvernement, qu’il s’agisse de la TVA sociale ou du recours au chômage partiel, ne sont pas à la hauteur de la situation, estime Guillaume Duval dans sa chronique pour Radio Nova.
Mercredi dernier, le président de la République a reçu les responsables du patronat et des syndicats pour un sommet sur l’emploi. Mais vous n’êtes pas convaincu par ce qui en est sorti…
En effet, les décisions n’étaient pas à la hauteur. Nous avons désormais 4,9 millions d’inscrits à Pôle emploi, soit un actif sur six. Au train où vont les choses, on devrait passer la barre des 5 millions dans les prochains mois. Les records des années 1990 sont battus. On dénombre aussi 1,6 million de chômeurs inscrits depuis plus d’un an et nombre d’entre eux, tombés au chômage en 2009-2010, vont arriver en fin de droits. Nous avons également 900 000 chômeurs de plus de 50 ans, la catégorie qui a le plus augmenté depuis 2008. Une situation aussi désastreuse justifiait bien un sommet social, même si les arrière-pensées électorales du président-candidat étaient évidentes.
Mais les résultats n’ont pas été convaincants…
Non. Le sommet n’a débouché que sur quelques mesures consensuelles : une simplification des procédures pour le chômage partiel, un millier de CDD supplémentaires pour Pôle emploi face à l’afflux de nouveaux chômeurs, quelques moyens en plus pour la formation des sans-emploi. Au total, les 430 millions d’euros de dépenses nouvelles ne représentent que 0,02 % du produit intérieur brut (PIB), cinq fois moins que ce qui a été rendu cette année aux assujettis à l’impôt sur la fortune (ISF) ou dix fois moins que l’argent public dépensé chaque année pour inciter les entreprises à faire faire des heures supplémentaires à leurs salariés en poste plutôt que d’embaucher des jeunes et des chômeurs.
Rien n’a été décidé pour éviter aux chômeurs de longue durée, et notamment à ceux de plus de 50 ans, de tomber dans la misère à l’épuisement de leurs droits à l’assurance chômage ; il n’y aura pas non plus de relance significative des emplois aidés bien que leur nombre ait diminué d’au moins 75 000 en 2011, selon les chiffres du ministère de l’Emploi ; la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne sera pas suspendue bien qu’elle désorganise l’action publique tout en aggravant la situation des jeunes, privés d’une part significative de leurs débouchés…
Oui, mais vu l’état des finances publiques, on ne peut pas faire grand-chose, non ?
C’est un mauvais calcul : la montée du chômage conjuguée à l’arrivée en fin de droits de nombreuses personnes va peser négativement sur la consommation. Elle va aussi inquiéter ceux qui ont gardé leur emploi, les incitant à accroître leur épargne. Deux mouvements qui vont aggraver le ralentissement économique et priver l’Etat de recettes, l’empêchant au final de réaliser la baisse des déficits programmée.
Nicolas Sarkozy doit annoncer aussi de nouvelles réformes prochainement…
Parlons-en. Pour compenser l’absence de mesures immédiates face au chômage, le Président veut imposer à marche forcée des réformes structurelles, bien qu’elles n’aient pas été négociées avec les syndicats qui y sont opposés. Contrairement à ce que prévoit la loi Larcher adoptée en 2007 et à ce que pratiquent la plupart des pays qu’on nous donne en exemple lorsqu’il s’agit de réformer le marché du travail et la protection sociale. Même s’il n’est pas idiot de modifier l’assiette des cotisations sociales, la hausse de la TVA va, dans l’immédiat, freiner la consommation et donc aggraver le chômage. Quant à sa capacité à éviter les délocalisations vers la Chine, elle sera évidemment nulle compte tenu des écarts de coûts du travail. La TVA « sociale » est en réalité beaucoup plus une mesure anti-belge, anti-allemande ou anti-italienne qu’anti-chinoise. Elle s’inscrit dans une dynamique non coopérative où chacun en Europe essaie de sauver sa peau aux dépens de ses voisins, tout en alimentant une spirale globale de moins-disant social. Ce qui dans le contexte actuel ne peut qu’aggraver les choses en Europe et, au final, se traduire par moins d’emplois encore.
Enfin, Nicolas Sarkozy veut faciliter la conclusion d’accords d’entreprise dérogatoires à la loi qui permettent de baisser les salaires et le temps de travail en échange de garantie d’emploi. Dans le contexte actuel, les salariés ne peuvent pas résister au chantage des directions d’entreprise et cela va nous entraîner dans une spirale de remise en cause généralisée des acquis sociaux et de déflation salariale. Ce qui va non seulement aggraver les conditions de vie et de travail des salariés français mais aussi peser négativement là aussi sur l’activité économique. Avec ces mesures improvisées destinées à masquer un bilan qu’il sait mauvais en vue de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy joue vraiment à l’apprenti sorcier…
Guillaume DuvalArticle Web - 26 janvier 2012