Il ne fallait pas trop de questions, et si possible faire oublier la furieuse semaine du rival François Hollande.
Le Sarkoshow...
Mardi, il livrera ses voeux à la presse, à l'Elysée, pour la seconde fois seulement depuis mai 2007. La dernière fois, le 8 janvier 2008, il avait laissé un grand souvenir: taquin, violent, imprévisible, narcissique, outrancier. Ses conseillers ont mis 4 ans à faire oublier la prestation de leur mentor. Désormais, Nicolas Sarkozy se dépeint comme ce capitaine expérimenté.
« C’est le courage qui donne la force d’agir » serait le prochain slogan de campagne. Sans rire ? Le clip de pré-campagne, dévoilé samedi par Jean-François Copé au Conseil national de son parti à Paris, a rapidement été ridiculisé. Le vrai spectacle était pour dimanche soir. Nicolas Sarkozy y jouait son va-tout, un « pari fou », c'était son « grand soir ». Un petit parfum de dictature télévisuelle tant la débauche de moyens télévisés surprit.
Claire Chazal et Laurent Delahousse, jugés insuffisamment compétents en matière économique, avaient été secondés de Jean-Marc Sylvestre, ancien chroniqueur libéral de France Inter et LCI passé à i-Télé, et de François Lenglet, directeur de la rédaction de BFM Business qui s'était frotté à François Hollande jeudi dernier. L'Elysée avait prévenu que le Monarque ne répondrait pas aux questions sur sa candidature éventuelle.
Quatre journalistes pour une heure d'entretien, le temps était trop court pour que la contradiction fut portée. L'un des journalistes avait été soutenu par Sarkozy quand il fut évincé d'une radio publique. Une autre était restée proche. Des bandes annonces encombraient depuis trois jours les écrans pour faire la pub de ce grand moment. On espérait 15 à 20 millions de téléspectateurs.
Des fuites avaient permis d'apprendre l'essentiel dès samedi: une hausse de la TVA, une baisse des cotisations patronales, et un micro-impôt de Bourse.
A 20h15, ce quinzième Sarkoshow commençait donc. « Merci de nous accueillir dans cette salle des fêtes de l'Elysée » débuta Claire Chazal, de blanc vêtue. La salle était immense et richement décorée. Sarkozy semblait Louis XVI interrogé à la veille d'une Révolution.
Immédiatement, la journaliste de TF1 s'inquiéta de la dégradation de la note française « qui a ému l'opinion ». Car, précisa-t-elle « les Français sont inquiets sur leur avenir ». Laurent Delahousse, de France 2, résuma le déroulé de cette interview. Un petit groupe d'invités semble coincé au fond de la salle des fêtes.
« En tant de crise, je suis là en tant que chef de l'Etat » précisait-il. « Nous avons dû consacrer la totalité du deuxième semestre 2011 à arrêter une crise financière ». Pourtant, rajouta Chazal, « la chancelière allemande vous considère comme en campagne »... Nicolas Sarkozy fit mine d'être surpris. Sarkozy précise qu'elle « ne vote pas en France ». Il bafouilla, « c'est un tout autre sujet ».
Lucide sur son bilan ?
Nicolas Sarkozy joua d'abord au protecteur. Rassurez-vous, bonnes âmes, le pire est derrière nous. La preuve avancée fut ... alambiquée : « Je crois que l'on peut dire que les éléments d'une stabilité de la situation financière de l'Europe et du monde sont posée...». Et d'ailleurs, il promit une bonne nouvelle, « un résultat de déficit bien meilleur », 5,3% de déficit budgétaire.. Ouch !... une sorte d' « amélioration des problèmes »...
Avez-vous compris ? Il s'agaça contre Standard and Poor's, et préfère Moody's « qui est deux fois plus grosse ». « Les agitations de Standard & Poors n'ont pas eu plus d'effet sur la France qu'elles n'en ont eu sur les Etats-Unis ». « En ce début d'année, la France emprunte à un taux historiquement bas. La crise financière s'apaise (...) L'Europe n'est plus menacée. »
Donc, ajouta-il, « il faut consacrer tous nos efforts à la crise économique », évidemment avec l'Allemagne voisine. « En France, depuis mi-2008, c'est 500.000 destructions d'emplois. Au Royaume Uni, c'est un million de chômeurs en plus ». Sarkozy mélangeait les statistiques, les destructions d'emplois et le nombre de chômeurs. Un peu plus tard, il accusa le retournement économique de l'été dernier.
Le chômage reculerait au début de l'année, nous assura-t-il. Faux encore, il suffisait d'observer les courbes de la DARES. Le chômage n'a jamais baissé depuis 2008.
Les mesures qui font pschitt
« Pour attraper plus de croissance du monde », Nicolas Sarkozy annonça une première décision sur le logement. Et quelle décision ! Les propriétaires pourront augmenter leur surface de 30%...
« Nous avons décidé que pour les 3 ans qui viennent, tout terrain, toute maison, tout immeuble, verra ses possibilités de construction augmenter de 30 % »Même Laurent Delahousse fut interloqué: « mais, pour agrandir son logement, il faut des moyens ! ». « Pour répondre à la pénurie de logements, il faut libérer les possibilités de logement » expliqua-t-il. Sarkozy bottait donc en touche. Mais il exclua l'encadrement des loyers, car « plus personne n'achètera ».
Seconde mesure, « Nous allons créer une banque de l'industrie sur le modèle d'Oseo » ajoute-t-il, chipant une mesure du programme Hollande. Il y a 4 jours, ses sbires répétaient qu'elle existait déjà. Il faudrait savoir...
Troisième annonce, comme un aveu d'échec pour l'un des chantiers majeurs du quinquennat passé de Nicolas Sarkozy, l'apprentissage. Il promit une plus forte sanction contre les entreprises de plus de 250 salariés ne respectant pas un minimum de 4 % de contrats d'apprentissage dans leurs effectifs. « Pour les petites entreprises, c'est plus compliqué ». Un texte sera voté en février. « C'est un effort absolument national ».
Laurent Delahousse demande quand les premiers effets d'une telle mesure se feront sentir. « Mais tout de suite ! » s'exclame le Monarque. « L'avenir des jeunes, c'est dans les entreprises, pas dans les administrations et dans l'assistanat ».
Sarkozy zappe l'élection présidentielle
Puis Claire Chazal cite François Hollande et mentionne la TVA sociale. Nicolas Sarkozy s'énerve. TVA sociale ? « Ce mot n'a aucun sens ! Vous ne m'avez jamais entendu le prononcer. » Et il se lança dans une trop longue explication sur les écarts de charges entre la France et l'Allemagne. Selon lui, les charges sociales des salariés français seraient deux fois supérieures que celles des salariés allemands.
Parfois, il s'énervait tout seul: « Il faut arrêter que n'importe qui raconte n'importe quoi ». Souvent, il cita l'Allemagne, dont l'amitié est un « trésor », un trésor qu'il faillit abîmer au début de son mandat.
« La décision que le gouvernement proposera au parlement sera d'exonérer la cotisation totale ou partielle des cotisations familiales ou patronales » entre 1,6 et 2,1 SMIC, puis une exonération partielle jusqu'à 2,4 fois le SMIC. Cette mesure, se félicita le Président des Riches, concernera « 97% de l'agriculture, 82% de l'automobile et les deux tiers des effectifs de l'industrie ». Et Sarkozy de rajouter: « Nous enlevons des charges sans toucher aux salaires.» Mais pourquoi donc un tel cadeau, sans distinguer les entreprises qui exportent ou délocalisables des autres ?
Ces 13 milliards d'euros seront financés par une augmentation de la TVA: le taux normal, actuellement l'un des plus élevés d'Europe (19,6%) passera à 21,2% au motif d'une baisse légère des cotisations patronales. C'est trop peu pour changer grand chose à la compétitivité des entreprises française, c'est toujours trop pour le panier de la ménagère modeste: « Ca mettra la TVA française dans la moyenne de la TVA des pays européens. » Faux, cette mesure la mettra 1,4 point au-dessus de la moyenne européenne, qui est en de 20,2%.
« Les Français sont très lucides. Ce qui les inquiète, c'est quand on leur raconte n'importe quoi.»
Seconde augmentation, la CSG sera relevée de 2%, pour un gain d'environ 2 milliards d'euros par an: pour faire bonne figure et couper court à la critique évidemment sociale, le Monarque a ajouté une hausse de la CSG sur les revenus du capital. Trop faible pour changer grand chose.
Pour les salariés, comme les non-salariés, l'addition sera donc salée. Une pure perte de pouvoir d'achat. Une de plus. Pour se justifier un peu plus, Nicolas Sarkozy ajouta : « sur les 10 dernières années, la consommation des Français sur les produits importés a augmenté de 50 %, c'est leur droit. »
La hausse de la TVA n'entrera en vigueur qu'en octobre prochain « pour des raisons techniques » d'abord, mais aussi parce qu'il espère, « avec François Fillon », que l'annonce de cette mesure incitera les Français à consommer d'ici et les entreprises à anticiper une baisse de leurs coûts du travail.
Un peu plus tard, François Lenglet rappela 2 critiques sur la TVA sociale, son effet négatif sur le pouvoir d'achat du plus grand nombre, et son insuffisance à véritablement diminuer le coût du travail de manière significative. Le risque d'inflation ? « Aujourd'hui, le risque d'inflation n'existe pas ». Faux ! Lenglet cite l'exemple britannique. « Mais... Ben... le Royaume Uni n'a plus d'industrie » répondit Sarkozy par une pirouette.
Faux. Le Royaume Uni, comme le rappela le Monde, a davantage d'industrie que la France. Nicolas Sarkozy avait déjà commis publiquement cette erreur en 2008.
« Sur la question de la TVA... d'abord... nous n'avons pas touché le taux médian... » ... Le taux médian ? Nicolas Sarkozy vient d'augmenter le taux réduit de 5,5% à 7% au 1er janvier pour l'essentiel des biens et services concernés.
Et la modération des salaires constatée en Allemagne ? s'inquiéta Delahousse... « ça, c'est une autre question » répond Sarkozy. Et il continua sur le risque de délocalisation ... en Allemagne. On n'y comprenait plus rien. Aucun journaliste ne parla du temps partiel subi ni du taux de pauvreté en Allemagne.
Avec 32 ans de retard, Nicolas Sarkozy faisait passer une vieille mesure réclamée par l'ancêtre du MEDEF.
Le sens du ridicule
François Fillon écrira « dès demain matin » aux partenaires sociaux pour leur demander de négocier, « dans les deux mois », des accords compétitivité/emploi par entreprise. « Je ne vois pas pourquoi la loi, l'Etat devrait s'immiscer dans un débat responsable à l'intérieur de l'entreprise ». La négociation devra porter sur la modulation de la durée du travail en fonction de la charge de travail. Une manière d'éviter le paiement d'heures supplémentaires.
Une fois conclus, ces accords s'imposeront à la loi, a promis Sarkozy. Claire Chazal rappelle que ces mêmes partenaires sociaux ont refusé cette démarche lors du micro-sommet social du 18 janvier dernier.
Ces grandes annonces faites, Jean-Marc Sylvestre s'indigna de l'ampleur du déficit extérieur. Sarkozy grimaçait presque, puis bafouilla une curieuse explication: « ça passe par fabriquer des produits que les gens veulent acheter ». Mais qu'avez-vous fait en 5 ans de mandat ? se demanda le journaliste.
Nicolas Sarkozy défendit un peu mollement son bilan. « J'ai passé toute l'année 2010 à résoudre le problème des retraites. (...) Et l'année 2009, j'ai fait quoi ? L'autonomie des universités. Et en 2008, j'ai fait le service minimum et réformer les services spéciaux.» Fichtre ! Quel bilan bien résumé. Voici un président spectateur jusqu'au bout. « J'accepte qu'on me dise que j'en ai pas fait assez, mais je croyais que pendant cinq ans le thème c'était : on en fait trop ». Par exemple, « En mai 2007, nous avons mis en place le non-remplacement d'un fonctionnaire à la retraite sur deux. (...)160 000 fonctionnaires de moins en cinq ans, est-ce que c'est déjà arrivé dans l'histoire de la République ? »
Mais... rappela le journaliste Lenglet, « l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne n'a absolument pas baissé pendant votre quinquennat ».
« J'ai le sens du ridicule, ce n'est pas à moi de juger mon propre bilan, c'est aux Français.»
La formule surprend. Est-ce un lapsus ? Il confia alors qu'une taxe sur les transactions financières serait en place d'ici août. Encore une fois, Sarkozy zappe l'élection présidentielle.
Regrette-t-il quelque chose de son mandat ? « Vous regrettez, Monsieur le président, les réductions fiscales du début de mandat ? » s'inquiéta l'un des journalistes. Certainement pas la défiscalisation des heures supplémentaires. Ou la suppression des taxes sur les « petites successions » qu'il s'attribua indument. En août 2007, Nicolas Sarkozy a détaxé les grosses successions, puisque avant sa loi TEPA, déjà 75% des successions étaient exonérées. Tout juste reconnaît-il que la défiscalisation des intérêts d'emprunts immobiliers de la loi Tepa était une « erreur ».
Le mot est lâché, une seule fois. « Mais enfin... le devoir de lucidité, ça compte dans une vie.» Car Sarkozy est lucide. Il laisse à d'autres le soin de préciser qu'il est aussi courageux, bien sûr. « Vous me demandez si en cinq ans j'ai tout réussi. Je suis lucide : non.»
De temps à autre, on retrouva son arrogance naturelle. A l'entendre, il fut précurseur sur la réforme des retraites... « Quand on a fait la réforme des retraites, tout le monde nous a critiqués, maintenant toute l'Europe nous suit ».
Confessions intimes ?
21h11, les questions économiques sont terminées. « Dans quel état d'esprit vous trouvez vous ? » demanda Claire Chazal. « Je vais vous dire... J'ai bien conscience du ridicule d'avoir des états d'âmes en une telle période de crise » répondit Sarkozy. Le Monarque ne confirme pas la véracité de ses propos Off. « La personne qui a perdu son emploi, qui me regarde, qu'est-ce que ça peut lui faire mes états d'âme ? »
Est-il candidat ? Sera-t-il candidat ? Quand le dira-t-il ? Le Monarque prit un air pincé, presque contris. « Si un jour je dois rentrer en campagne, je serai le candidat. Et parfois, j'en ai l'impatience quand je vois l'arrogance.» Ah ? Il se lâche.
« Chacun devrait comprendre que quand on se met au niveau du caniveau, personne n'y gagne. Chacun d'entre nous, on devrait se respecter.»
A 21h16, le show était terminé.
Nous pouvions reprendre une activité normale.
On retint que Nicolas Sarkozy avait conscience d'avoir le sens du ridicule.