Une force bouleversante gorge souvent les grands romans.Celle que recèle l’Homme à la carrure d’ours de Franck Pavloff est synonyme d’opiniâtreté, de liberté, d’espérance et d’humanité. Il nous parle du monde, d’un ailleurs qui nous interroge simultanément sur nos peurs et sur nos conditions actuelles, individuelles et collectives.
L’histoire prend place dans le Grand Nord, sur une terre irradiée et glacée. Depuis trente ans, plusieurs communautés hostiles vivent dans une Zone que les Autorités ont brutalement ordonné d’évacuer. La ville de Voulkor a été détruite à l’explosif, les puits des mines ont été colmatés, et des hommes, qui travaillaient dans les galeries, ont été ensevelis. Endurcies, ces âmes entretiennent tristement leur survie, dans leurs chaumières, au Comptoir, dans les isbas ou à l’église comme pour Misha, la mère adoptive de Lyouba.
Lyouba est l’unique femme apte à porter la vie dans son ventre. Donnée aux hommes depuis deux ans par Misha sur les conseils du Pope, elle s’est retranchée dans un mutisme qui est comme un voile « plaqué sur son visage, éteignant son regard ». Elle porte des bottes en cuire rouge données par le lapon, Kolya, un personnage solitaire et riche des enseignements de son peuple.
L’homme à la carrure d’ours sculpte l’ivoire et s’évertue chaque jour à faire revivre un jardin de friches, à l’autre bout de la Plaine. Dans cet univers froid où les nuits boréales sont un danger véritable, Kolya est le seul à oser sortir de la Zone, mais sa détermination porteuse de chimères et son refus de prendre acte de sa désespérance irritent ces communautés d’hommes domptés par la peur et reculant devant l’exil.
Grâce au lien intime, profond et presque immaculé qui se révèle progressivement entre le lapon et la jeune femme, celle-ci s'aventure, au fil des saisons, du jardin d'enfant, où elle se réfugie, à la cité interdite, défiant la vigilance des gardes invisibles. Elle franchit des cercles et puise la force de sa libération, faisant écho à cette phrase qui signe un précédent roman de l'auteur : "Ils ont la loi, vous avez la foi. Vous passerez"*, mais ce n'est qu'une étape…comme chacun des livres de Franck Pavloff qui sont autant de strophes à une ode pour la liberté des êtres qui résonne comme un cri sépulcrale et flamboyant, à l’image de cette nature arctique dont il dépeint toute la puissance et la beauté.
L'homme à la carrure d'ours
de Franck Pavloff
éditions Albin Michel,
2012
* phrase extraite de La Chapelle des Apparences (Albin Michel, 2007)