par Didier Testot
C'est donc ce lundi que la Tribune tire sa révérence, après plusieurs années délicates, des capitaines qui se sont succédés, sans pouvoir inverser la tendance. Plutôt que de se laisser aller au désespoir, qui ne fera pas revivre la Tribune que l'on a connue, j'ai voulu ici même, témoigner, et d'abord en retrouvant des "Unes" que j'ai gardées, car la Tribune avait en son temps déjà révolutionné la presse quotidienne avec la couleur, c'était en 1992. Tiens, la Tribune valait 6 francs !
En vrac, La Tribune de l'Expansion avec Jean-Louis Servan Schreiber, une indépendance de la rédaction à son top, le Crédit Lyonnais n'avait pas aimé certains articles, il (NDA JLSS) n'en avait jamais fait part à la Rédaction, une époque ! La couleur, et la nouvelle maquette, déjà on s'imaginait cliquer dans les rubriques, une vraie nouveauté, avant que tout le monde le fasse. Le scoop en Une d'Accor, un souvenir d'un faux "off" qui n'en était pas un et les appels désespérés d'Accor ensuite qui n'avait pas apprécié qu'on écrive le "on" en Une ! Un moment fort. Comme la bataille, tous les jours, avec nos confrères des Echos, pour savoir qui de l'autre avait le plus d'informations pertinentes.
Puis vint la fusion de la Cote Desfossés avec la Tribune, encore une autre histoire, marquée par une fusion d'un acheteur Georges Ghosn, qui s'était rêvé numéro un, sans en avoir les moyens. Ceux qui ont comme moi vécu la fameuse soirée rue Notre-Dame des Victoires, où le tout Paris de la communication se pressait, pour la fusion de ses deux quotidiens, ont en mémoire les fumées des cigares et le bon vin qui coulait à flots, et les notes de frais à la volée !
La suite, presque évidente, la presse quotidienne coûte cher, et sauf à en être un mécène, cela ne tient pas. LVMH par l'intermédiaire de son fondateur Bernard Arnault fut le dernier sauveur de la Tribune, il eut lui aussi comme ses prédécesseurs, ce handicap d'avoir un actif "challenger" courant derrière les Echos, sans avoir pu trouver la faille pour sans le dépasser en termes de ventes au numéro, pouvoir l'égaler.
Son arrivée me donna l'occasion de quitter le navire fin 1993 lors de la clause de conscience des journalistes qui avait été ouverte, pour rejoindre le gendarme de la Bourse (la Commission des Opérations de Bourse), en tant que porte-parole.
Lorsque Alain Weill reprit la Tribune, j'avais eu l'impression que compte tenu de son expérience réussie dans les médias (RMC, BFM TV,...), il trouverait les synergies pour consolider son empire de presse.
Je fus donc très étonné quand il jeta l'éponge, deux ans après sur des motifs qui restent obscurs : "la pérennité du titre demande une implication totale (...) c'est un travail à plein temps", pouvait-on lire dans ses déclarations. N'était-ce pas ce qu'il avait déjà fait avec RMC, son diamant éternel ?
Bien plus tard, je croisais un ancien dirigeant d'un des plus grands media TV, et lorsque j'évoquais cet évènement avec lui, il me confiait avec force : "Il n'a pas voulu déposer le bilan, cela aurait fait tâche sur son parcours et sa success story..."
RMC, BFM TV, la Tribune...pourtant un sacré trio mais l'Histoire, on ne la refait pas. Valérie Decamp, à qui Alain Weill céda la Tribune, avec un peu de cash, mais en pleine tourmente économique et financière, malgré ses efforts, n'a pas pu arrêter le mouvement.
Si l'on regarde de près la photo de la Une de la Tribune, on y voit "Presse, Alcatel s'intéresse au Point".
En 2012, les medias intéressent toujours les entreprises, mais notre écosystème médiatique a changé. Tout ne se passe plus ni au 20 heures de TF1, ni dans les journaux quotidiens. Sans que le Web ait tout remplacé, ce qui serait présomptueux, il a déplacé les centres d'intérêts des lecteurs.
La crise économique et financière, si elle rend compliqué l'achat d'un quotidien, n'empêche pas les lecteurs de consulter des quotidiens gratuits et leurs smartphones payants pour se tenir au courant de l'actualité et la partager. Ce nouveau mode de consommation, s'il est une réalité, n'empêche pas les marques de media qui ont des choses à dire de se faire une place sur internet qui joue comme un redistributeur de cartes, car rien n'est acquis.
Le journaliste qui a fait quelques "Unes" dans la Tribune et a écrit de nombreux articles, est le même qui depuis 2009, choisi Internet pour lancer une Web TV et a depuis enregistré plus de 1.000 interviews vidéos de dirigeants d'entreprises, d'experts sur les marchés, d'intervenants divers, de l'humour, de la pédagogie... créant ainsi www.labourseetlavie.com, une base de données unique sur la Bourse, l'Economie, et les Entreprises.
On pourra longtemps débattre de la place des medias, la disparition de la Tribune papier, c'est d'abord une pluralité d'informations et de sources en moins.
Si elle survit sur le net, ce que je lui souhaite, nous aurons peut-être l'occasion de nous retrouver autour d'un "Alla santé du confrère..." et partager ensemble des savoir-faire.
Pace e Salute
Didier Testot d'intérêt à 6% pour ceux qui ont joué à ce jeu à la Tribune !