Devant un parterre de spectateurs disposé en cercle autour de la scène, un homme seul entre, se fait un café, éteint les lumières, et appelle un opérateur téléphonique depuis son iphone pour résilier sa ligne. La raison ?, demande son interlocutrice, Mona. Il n’y en a pas.
De Beethoven à Léonard de Vinci, de (ce qu’on imagine être le) Maghreb à Paris, Arthur Igual, puisque c’est le nom du personnage autant que celui du comédien, voyage entre les lieux et les époques. Chef d’orchestre, il devient conférencier puis horloger, s’adressant en définitive toujours à la même Mona, qu’elle soit opératrice lointaine, psychanalyste invisible ou héroïne du tableau de Léonard. Les registres de parole se succèdent et se mélangent avec légèreté, et l’on est émerveillé par l’utilisation optimale de l’espace de l’Atelier du Plateau : bar, mezzanine, escalier, échelle, rien n’est ignoré des contraintes du lieu.
D’habitude ils sont quatre sur scène, et un dans l’ombre. Là, c’est le contraire, ils sont quatre dans l’ombre et un sur scène. Arthur Igual incarne pendant plus d’une heure les rêveries de la compagnie Théâtre déplié : Adrien Béal, Fanny Descazeaux, Arthur Igual et Anne Muller, nées de la lecture d’Affabulazione de Pasolini. Improvisations et tâtonnements ont donné naissance à un spectacle qui progresse par déplacements des lieux, des interlocuteurs et des objets, pour donner chair à une réflexion sur l’héritage : où est la frontière entre les pères et les fils ? comment se situer par rapport à nos prédécesseurs ? doit-on payer pour leurs fautes ?
Pour répondre à ces questions, le fils qui deviendra père sans pour autant cesser d’être un fils reçoit la visite du spectre de Sophocle, d’un tribunal de l’histoire et de Mona, qui a fait tout le trajet jusqu’à Paris pour se voir expliquer son propre sourire : il n’est rien d’autre que l’annonce de sa mort certaine. Alors, l’accès à l’immortalité ne passe-t-il pas par la transmission aux enfants ? Mais laquelle ? Celle des usines du père horloger ou celle de la mémoire controversée ? Quel héritage est-ce donc que le fascisme pour Pasolini et la capitalisme ultra-libéral pour nous ? Autant de questions qui, si elles n’obtiennent pas de réponses, actionnent les méninges de chacun des spectateurs, comme autant de ressorts de montres et battements de cœur : oui non oui non oui non vie mort vie mort vie mort.