Tandis que la Chine connaît un ralentissement de sa croissance économique, le modèle chinois qui fascine les capitalistes occidentaux sans état d’âme emprunte des détours inattendus.
Par Guy Sorman, depuis Hong Kong
La croissance chinoise ralentit : en dessous de 8% par an, l’économie urbaine ne pourrait plus absorber les quelques trente millions de paysans qui chaque année partent chercher fortune en ville et dans l’industrie. Le risque serait alors que l’exode rural enfle encore plus la masse des « travailleurs flottants » à la recherche d’un gagne-pain, errant d’un chantier à l’autre, sans domicile fixe et sans familles. Pourquoi cette baisse de croissance ?
Pour Wei Shang Jin qui enseigne à Hong-Kong, Shanghaï et New York, deux causes principales : les salaires augmentent dans les usines chinoises, la valeur du Yuan aussi. En conséquence, les commandes occidentales et asiatiques partent vers d’autres rives comme le Viet Nam et l’Inde. Ensuite, la baisse de la consommation en Europe affecte directement l’économie chinoise qui dépend à 60% de ses exportations. Une troisième cause se profile : l’absence d’innovation en Chine. En recopiant les brevets occidentaux ou japonais, les entreprises de Chine se condamnent à rester d’éternels seconds et des sous-traitants permanents. Pourquoi cette panne de l’innovation ? La culture chinoise n’ y est pour rien, dit Wei, ni le régime autoritaire. La raison principale, selon lui, est démographique : le réservoir de main d’œuvre à bon marché est si vaste qu’un entrepreneur gagne plus à « exploiter » ces travailleurs qu’à investir dans l’innovation. Certes ! Mais, l’absence de liberté sur le campus et l’interdiction d’organiser les travailleurs en question, cela aussi – me semble-t-il – nuit à l’innovation.
La croissance forte, même si elle n’atteindra plus les 10%, persistera pour une raison jamais mentionnée mais, selon Wei, déterminante : la chasse aux femmes.
Par suite de la politique de l’enfant unique – une répression toujours sans répit – et de la préférence pour les garçons (celle-ci facilitée par les échographies en ville et les infanticides à la campagne), la Chine compte aujourd’hui dix hommes en âge de se marier pour huit filles nubiles. La concurrence sur le marché du mariage est donc féroce (et la prostitution florissante) : les femmes vont par priorité aux hommes fortunés ou aux carrières prometteuses. Les ouvriers qui se tuent à la tâche, le font souvent pour accumuler le pécule, la dot qui leur permettra de persuader une future épouse. La concurrence pour le sexe est économique et un moteur imprévu d’acharnement au travail et de croissance forte.
Cette hypothèse, Wei l’a vérifiée : les régions où se créent le plus grand nombre de petites entreprises sont celles où le déséquilibre des sexes est le plus flagrant.
Le modèle chinois qui fascine les capitalistes occidentaux sans état d’âme, emprunte donc des détours inattendus : le MEDEF ne devrait-il pas proposer la politique de l’enfant unique en France pour pousser les hommes affamés de sexe à travailler plus ? Qu’en pensent les sinophiles, les hollandistes et les raffarins ?
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