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Oui, je suis écoeurante

Publié le 28 janvier 2012 par Lana

Il y a comme un goût de rancoeur et même de haine dans la psychiatrie française ces derniers temps. De violentes querelles de chapelles qui finissent devant les tribunaux, mais aussi une agressivité qui n’est plus larvée envers les usagers. Je ne parle pas seulement de la violence qui a lieu à l’hôpital, mais de ce qu’on peut lire ici et là. D’abord, le déferlement de préjugés envers les usagers qui voudraient devenir pairs-aidant, montrant bien qu’il est hors de question pour certains soignants de considérer les personnes souffrant de maladie mentale comme des citoyens comme les autres, que la barrière entre les fous et eux, les normaux, ils y tiennent et qu’elle ne tombera pas comme ça. Ensuite, les reproches envers les parents d’enfants autistes, qui osent demander d’autres pratiques que celles qui consistent à laisser leurs enfants en psychiatrie, neuroleptisés, alors qu’ils peuvent aller mieux grâce à d’autres traitements. Des parents qui se battent pour leurs enfants, leur bien-être et à qui on lance à la tête les pires diatribes parce qu’ils ne veulent plus de la psychanalyse, alors même que la psychanalyse n’offre aucun résultat à leurs enfants. On les traite quasiment comme des criminels parce qu’ils refusent de ne pas voir leur enfant aller mieux. On ne veut pas les écouter, seule compte la parole des soignants, on les chasse même de certains lieux virtuels parce que leur expérience ne valide pas les théories qui y sont approuvées.

Oui, je suis écoeurante

Et ce soir, je suis écoeurante. Parce que je refuse de dire que la contention et l’isolement sont du soin. Une mesure de sécurité, je veux bien le comprendre, même si on peut faire autrement, mais du soin, non. Je dis que dire que des violences exercées sur les patients, aussi protocolisées soient-elles, sont du soin est une façon de ne pas s’interroger sur ses actes, de refuser de voir la souffrance du patient, la nier même, en rendant cette souffrance illégitime puisqu’on agit, non seulement pour son bien, mais pour le soigner. Je suis écoeurante, oui, je l’imagine bien, ce n’est pas agréable de s’entendre dire qu’on fait souffrir, et qu’en plus on s’en glorifie avec des théories à deux balles sur ces psychotiques “éparpillés” à qui cela fera tellement de bien d’être attachés et isolés. Qui a envie de se retrouver seul, attaché à un lit, quand il demande du réconfort ou de l’apaisement? Personne, sauf les psychotiques bien sûr, ah oui, eux ils aiment ça! Eh bien, je dis que non. Je dis que nous ressentons les choses comme les autres, souvent même plus, et que l’inconfort des liens, oui nous les sentons, la solitude, enfermé entre quatre murs, notre coeur la ressent comme un rejet, comme une violence sans nom. Oui, c’est écoeurant tout ça, ces fous qui sentent et pleurent et vivent comme tout le monde. Je dis qu’on peut réfléchir à d’autres façon de traiter les gens, je dis que les patients en psychiatrie ont droit aux mêmes égards et au même respect que tout un chacun. Je dis que ces mauvais traitements, on ne les oublie pas comme ça, que c’est de la souffrance ajoutée à de la souffrance par ceux-là même qui prétendent nous soigner.

Dans un monde où il y aurait, à entendre certains,  les courageux infirmiers normaux et les méchants fous à maîtriser, avec une barrière infranchissable, un fou reste un fou, n’est-ce pas, comme nous l’a rappelé un infirmier syndicaliste il y a peu de temps, mon discours est écoeurant. Parce que je dis que nous sommes des hommes comme vous, que trop souvent vous abusez de votre pouvoir, et qu’au lieu de vous interroger vous le théorisez pour le banaliser. Je dis que ça nous fait du mal, je dis que vous faites du mal en vous donnant bonne conscience, et que si votre travail n’est pas facile, notre vie  non plus, et encore moins quand on répond à la souffrance par de la violence.

Alors, oui, je suis écoeurante. Parce que toute cette violence envers les usagers, qui n’ont rien à dire, rien à faire, qu’à rester de l’autre côté de la barrière en hochant la tête devant les péremptoires “c’est pour votre bien”, “c’est du soin”, elle ne passe pas. Je suis écoeurante et c’est la preuve que je suis encore vivante et blessée devant la douleur des autres.


Classé dans:Réflexions personnelles

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