Fiche technique :
Avec Java, André Reybaz et Lucien Senemaud. Réalisé par
Jean Genet. Scénario : Jean Genet. Directeur de la photographie : Jacques Natteau.
Durée : 25 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Dans une prison, l'amour d'un prisonnier pour un autre.
L'avis de Jean Yves :
Enfermés dans leurs cellules, deux prisonniers communiquent à l'aide d'un trou creusé dans le mur, sous l'œil du gardien qui les observe par le
judas. Un chant d’amour est le seul film écrit et réalisé par Jean
Genet, interdit en France durant 25 ans. En dehors d'une version soigneusement expurgée de ses séquences anatomiques, montrée à quelques happy few en 1954 par Henri Langlois à
la Cinémathèque, personne en France, n'avait pu voir Un chant d'amour tel qu'il a été conçu. Il y a eu quelques rares projections (à
New York en 1964, à
Londres en 1971,
tardivement à Paris) qui ont toutes été des scandales publics.
Pour la petite histoire, il faut savoir que c'est Nico Papatakis (à l'époque, propriétaire d'un cabaret à Saint Germain des Prés) et réalisateur, en 1991, des Équilibristes, qui
a produit ce brûlot génial.
Ce chef-d'œuvre en noir et blanc de moins d'une demi-heure est muet. Comme si Genet le poète y donnait la parole aux seules images. Il n'a sacrifié à aucune autocensure.
Un chant d'amour n'a pas pris une ride : la chaussette percée, et
l'ongle noir que s'arrache le taulard ; la paille dans le trou de la muraille où passe la fumée de cigarette d'une cellule à l'autre ; la main tendue vers la grappe de lilas, le maton qui jouit
en plaçant son révolver dans la bouche d'un prisonnier, les braguettes lourdes, les toisons, les verges qui se branlent... Tout l'imaginaire de
Genet est là, intact.
Un incunable gay à voir ou revoir.
L’avis de Luc Lagier :
La genèse d’Un Chant d’amour remonte à l’année 1944 et à la rencontre entre Jean Genet et Nico Papatakis. À cette époque, Nico Papatakis est le
propriétaire de "La Rose rouge", un célèbre cabaret de
Saint-Germain des Prés. Jean Genet multiplie quant à lui les séjours en prison pour vols, falsification de papiers, désertion ou
vagabondages. C’est d’ailleurs en prison que Jean Genet écrit ses premiers textes : Le Condamné à mort, Notre-Dame-des-fleurs ou Miracle de la rose. En 1944, Jean Genet
et Nico Papatakis décident donc de mettre en chantier un film qu’ils qualifient eux-mêmes « d’érotique » : Un Chant d’amour, prévu tout d’abord sur une
durée d’une heure, en 16 mm, muet et en noir et blanc.
Papatakis en sera le producteur, Genet le scénariste, le réalisateur et le monteur. Le film est tourné en 1950, du mois d’avril au mois de juin. Le décor de la prison est construit au premier
étage du cabaret de Papatakis alors que les extérieurs sont filmés dans la forêt de Milly, au sud de Paris. Nico Papatakis et Jean Genet décident de ne pas distribuer le film de manière
officielle mais plutôt de faire circuler des copies dans des réseaux privés. C’est en 1954 que la première projection publique d’Un Chant d’amour
a lieu.
Elle est organisée à la Cinémathèque française par Henri Langlois mais la copie est tronquée de tous les plans ouvertement sexuels. En 1964,
Nico Papatakis vend des copies du film à la Filmmaker’s Cooperative de New York, laquelle organise des projections qui se termineront par des descentes de police, ce qui vaudra d’ailleurs à Jonas
Mekas, le programmateur de ces séances, quelques jours d’emprisonnement pour avoir voulu « salir l’Amérique ».
En 1975, soit 25 ans après sa réalisation, Nico Papatakis décide de présenter Un Chant d’amour à la
commission du Prix à la qualité du Centre national de la cinématographie. Le film obtient une récompense de 9 millions d’anciens francs. En total désaccord, Jean Genet envoie alors une lettre à
Michel Guy, le ministre de la culture de l’époque, et refuse de manière catégorique une telle récompense. Jugeant son film d’après ses propres termes comme « l’esquisse d’une esquisse », il ne
veut pas le voir officiellement commercialisé et menace même Papatakis de poursuites judiciaires.
Après Un Chant d’amour, Jean Genet développera de nombreux autres projets cinématographiques, il écrira
par exemple quelques scénarios comme Le Bagne au milieu des années 50 ou Le Bleu de l’œil dans les années 70, sans
qu’aucun ne voit finalement le jour. Jean Genet s’éteindra en 1986. Un chant d’amour constitue donc l’unique film de l’écrivain.
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