Une autre histoire de la culture !

Publié le 28 janvier 2012 par Grindaizer

Internet est en danger !


Ces dernières années il subit des attaques de plus en plus graves de gens qui veulent le "civiliser". Entre Hadopi, SOPA/PIPA et ACTA, il parait qu'il devient urgent de protéger la culture avant qu'elle ne soit anéantie par une horde de pirates sauvages sans foi ni loi.
Nos chers amis américains, ces maîtres du monde, qui peuvent déjà se permettre de faire fermer des sites et arrêter des gens n'importe où dans le monde, selon leur bon vouloir, veulent aller encore plus loin, avec des lois qui leurs permettent de déconnecter et d'éliminer les terroristes du net avec un seul bouton. Tout ça pour protéger non pas la culture, mais les canaux de distributions habituels de la culture.
Au-delà du fait qu'il est clair que les démocraties modernes ne sont pas là pour défendre les intérêts du plus grand nombre, mais plutôt les intérêts des groupes suffisamment puissants pour atteindre l'oreille de ceux qui votent les lois, la "défense" de la culture telle qu'on veut la façonner prend des tournures graves et peut avoir des dommages collatéraux terribles.

JH curieux cherche culture


Je vous parle d'un temps où il suffisait d'avoir une connexion internet pour avoir un accès illimité à un patrimoine culturel de niveau mondial. Je vous parle d'un enfant qui est né dans un pays qui n'était certainement pas occidental. Un pays en transition entre sa préhistoire très courte et son avenir qui tourna court. Un pays où le taux d'alphabétisation est en progression mais reste insuffisant, et où un modèle culturel de masse appauvri et centralisé cohabite avec une culture plus raffinée mais restreinte à un cercle élitiste bourgeois. La  "culture" locale est limitée à quelques livres par-ci, quelques groupes de musique par-là, et un film tous les 2-3 ans (et je passe la peinture, la bande-dessinée, les musées qui se comptent sur les doigts de la main...).
Le fait est que quand j'étais très jeune, la parabole venait d'arriver en Algérie, ramenant un vent de fraîcheur incroyable par rapport à la chaîne unique disponible avant. On pouvait enfin avoir un aperçu de la culture des pays qui avaient une véritable politique culturelle. Je parle particulièrement de la télé française, qui finit par nous appliquer malgré nous son modèle marketing implacable, nous poussant comme de jeunes français à consommer des choses, qui, contrairement à eux, ne nous étaient pas accessibles (heureusement certaines frustrations pouvaient être combattues à coup de chocolat ambassadeur ou de biscuits bimo).
Ce que je ne réalisais pas à cette époque, c'est que la télé, ce canal culturel roi dans les années 90, n'offrait qu'un choix culturel limité, décidé et dicté par des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Je ne parle pas du livre parce que d'une part, de mon temps c'était un produit de luxe taxé à 300% (un truc comme ça), mais aussi parce qu'en 17 ans de vie algéroise, je n'ai pu me procurer qu'une vingtaine de livres de SF et de fantastiques !

It's a kind of magic


Nous sommes en 1999, et la famille déménage à Ben-Omar, derrière Kouba. À côté de la maison, il y avait un cybercafé, qui, chose très rare (ou alors j'ai vraiment pas eu de chance), était tenu par une jolie demoiselle. C'est l'époque caramail et irc. Premier choc culturel, je commençais à communiquer avec des gens qui avaient des conceptions du monde totalement différente de ce que je connaissais alors. On ne parle encore de découverte culturel, internet à l'époque était surtout textuel vu le débit disponible (l'ennemi à l'époque c'était les pages alourdies de gifs animés, bien avant l'arrivée de flash).
Lorsque je quitte l'Algérie, internet est loin d'être aussi développé que maintenant. En arrivant en France, j'ai pris l'habitude de séjourner dans les rayons des librairies (ma préférée : ombre blanche à Toulouse), et je découvris la fnac et Virgin, mais aussi des magasins plus discrets, qui proposaient des choses moins connues. Chaque étape de ma vie constitue une nouvelle bouffée d'oxygène, je vais de découvertes en découvertes, et prend de plus en plus conscience de l'immensité de la culture humaine disponible. Et à côté, je déprime en pensant aux réseaux culturels fermés et verrouillés avec lesquels j'ai grandi : télévision française, ministère de la culture algérien, galerie commerciale de makam chahid. Les seuls souvenirs positifs sont les visites des vidéothèques, et les livres de SF et fantastique sur lesquels j'avais réussi à mettre la main (beacoup de Philip K. Dick et de Stephen King bizarrement).
Et le meilleur restait à venir. Avec l'explosion du haut-débit, tout était dorénavant à portée de main. Musique, films, livres, savoirs et connaissances en tout genre, tout !

La chasse au trésor

Il y a deux sortes de pirates. Les bouffeurs de culture main-stream, qui veulent avoir à portée de main ce qu'on les pousse à consommer, et qui se rabattent sur internet parce que c'est plus simple et moins cher, et les curieux, qui veulent découvrir de nouveaux horizons, prendre l'air du large. Il faut bien comprendre que la première catégorie n'existe qu'en occident. Ce sont ces gens-là que les maisons de distribution veulent enfermer dans des modèles dépassés où elles contrôlent tout. Ce sont ces gens qui ont le choix entre internet et les réseaux classique.
Seulement le reste du monde n'a pas d'alternative. C'est internet ou rien du tout. Le piratage a permis au cinéma d'être présent en Algérie malgré l'inexistence d'infrastructures adéquates. En l'absence de salles de cinéma, des réseaux importaient depuis la Turquie des cassettes pirates de films pour remplir les stocks des vidéothèques. D'autres réseaux nous permettait d'avoir des CD-ROM de jeux vidéos et d'encyclopédies abordables.
Avec internet, l'horizon des flibustiers tiers-mondistes s'est agrandi, et ils peuvent maintenant si ils le veulent écouter de la musique traditionnelle tzigane, ou du métal finlandais. Ils peuvent voir des films coréens, ou iraniens, ou trouver de la lecture dans toutes les langues, y compris en klingon. Ils peuvent aller au-delà des simples produits finis, marketés, emballés, et prêt-à-l'emploi. Ils assistent à la création en directe, grâce à des sites comme youtube, aux making-of, aux tutoriels, aux sites indépendants. Et en plus, ils peuvent télécharger les logiciels pour faire comme les professionnels. Et c'est comme ça qu'une nouvelle génération de créateurs de produits culturels apparait. On ne créé jamais en partant de rien, et le processus est aussi aléatoire qu'un tirage de loto. Il en faut plusieurs pour qu'un seul arrive à faire quelque chose de bien, à s'approprier les idées d'ailleurs, à les mélanger aux couleurs locales. Et à la fin,  on finit avec des films amateursdes sketchs, des groupes de musique aux sonorités nouvelles, mais aussi de façon plus large, des entrepreneurs du web, des graphistes, des initiatives citoyennes.

Cultivons-nous tous ensemble

Le "piratage", dans son sens le plus large, sert ici à rééquilibrer une distribution des cartes inégale à la naissance, et décloisonne les univers.
Depuis que je me ballade sur internet, soit une dizaine d'années environ, mes connaissances musicales et cinématographiques ont crû de façon exponentielle. J'ai des découverts des courants musicaux dont je ne soupçonnais pas l'existence. Comment aurais-je pu découvrir le pirate metal autrement ? J'ai accès à de vieilles chansons du patrimoine algérien sur youtube, et je découvre les goûts musicaux du reste du monde grâce à des sites comme 8tracks (où il y a beaucoup de musique indé). J'ai pu voir des perles du cinéma, uniquement accessibles avec  bittorrent, parce qu'aucune entreprise n'a jugé bon de les distribuer. Je peux aussi explorer toutes les sciences que je veux, sans dépendre de l'unique importateur  de science & vie ou de la recherche, qui les ramène en quantité limité, et qui a parfois des soucis avec la douane ! Et je vous épargne la longue liste de tutoriels en tout genre, avec des sujets vastes et variées, allant de la programmation, au design, mais aussi  fabriquer des robots, copier une clé avec une canette,  se faire son T-shirt, changer une chasse d'eau, faire un feu avec rien... En fait si on me demande la seule chose que je veux prendre sur une île déserte, c'est certainement internet !
Tout est à portée de clique, pour le moment ...

Un internet ouvert

Bien sûr, ce qui m'a poussé à rédiger cet article, c'est l'histoire de Megaupload. Mais je tenais à dire que Megaupload, ce n'est pas l'esprit d'internet. Internet ne doit pas être centralisé, le but n'est pas de d'échanger un contrôle contre un autre. Le réseau doit rester ouvert, et décentralisé. Alors laissez tomber  le streaming, et revenez au bon vieux P2P !
N'hésitez pas à créer, et à utiliser les licences libres (ce blog est sous licence Creative Commons). Le fait est qu'internet va permettre de plus à une culture alternative d'émerger, avec des gens qui comprennent l'intérêt d'un modèle ouvert, celui qui donne leur chance aux plus grand nombre, et qui permet aux inconnus d'être diffusé dans le monde entier gratuitement. Ce n'est pas grave qu'un artiste ne soit pas payé pour ses CD, si les gens se déplacent en masse pour assister à ses concerts ! Que je sache, les bibliothèques n'ont jamais empêché les gens d'acheter des livres. Je télécharge moi-même beaucoup de livres et de films, et ça ne m'empêche pas d'avoir 287 livres et 175 DVD dans ma collection personnelle. Et si je n'en ai pas plus, c'est surtout parce que je ne dispose pas d'un budget "culture" illimité !
Personnellement je ne doute pas un seul instant que les modèles ouverts finiront pas s'imposer. Il faut simplement attendre le renouvellement générationnel.
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