Le débat télévisé entre François Hollande et Alain Juppé du 26 janvier 2012
sur France 2 marquera probablement ce début de campagne présidentielle mais montre à quel point le choc de deux arrogances n’est pas la réponse adaptée aux défis majeurs de la France
d’aujourd’hui.
Virage feint à gauche
Après trois mois de cafouillages, François Hollande a su se ressaisir et adopter une stratégie qui devient
maintenant claire : à gauche toute ! Ce virage très marqué sur sa gauche reprend en fait la traditionnelle méthode mitterrandienne : on ne gagne le premier tour qu’à gauche, et le
second tour au centre (Lionel Jospin n’avait pas intégré cette idée en 2002). L’hésitation initiale est donc bien dissipée. Quitte à ne faire que du théâtre, théâtre des ombres (je
l’ai déjà écrit, celles de François Mitterrand et éventuellement de Pierre Mendès France et Jacques Delors).
L’objectif, c’est de rassembler sur sa candidature tous les suffrages du "peuple de gauche", en particulier
celui tenté par l’extrême gauche (quasi-inexistante cette année) et par Jean-Luc Mélenchon. Il a
d’ailleurs dû clarifier aussi sa position vis-à-vis de François Bayrou : il n’est plus question de gouverner avec lui. Au moins, c’est clair. Pourtant, le candidat centriste est en pleine croissance dans les sondages ; le dernier lui attribue 15% et talonne Marine Le Pen de 2%.
En analyste politique très intelligent, François Hollande a su également désamorcer très vite certaines
bombes à retardement. Par exemple, sur la laïcité et la constitutionnalisation de la loi du 9 décembre
1905, il a (enfin) précisé qu’il ne toucherait pas aux particularismes juridiques de l’Alsace-Moselle.
Un volontarisme très virtuel
Toute la discussion sur son programme tient finalement aux capacités à réduire les déficits et à faire
redémarrer la croissance. C’est là où il y a un loup : si son hypothèse de croissance pour 2012 est relativement crédible (0,5%), l’hypothèse pour les années qui suivent (2%) est
complètement farfelue. On croirait presque le candidat socialiste à l’école de Coué : tout son programme tient sur l’hypothèse que la croissance sera ferme… et de toute façon, s’il n’y a pas
de croissance, aucun déficit ne pourra être résorbé.
Certes, mais tout ça n’explique pas aux Français comment il compte faire remonter la croissance. Car ses
mesures sur la réindustrialisation du pays (thème très à la mode et initié par François Bayrou à Giens en
septembre 2011) ne sont pas vraiment percutantes : la création d’une banque publique industrielle, c’est oublier Oséo qui a rassemblé l’ANVAR et la BDPME (banque de développement des
PME) il y a une dizaine d’années, les pôles de compétitivité qui cherchent, déjà, à rassembler tous les partenaires économiques (public, grandes entreprises, PME) pour créer une synergie
industrielle. Enfin, c’est oublier aussi un peu vite le "grand emprunt" qui a pour but un investissement
massif dans la recherche et le développement sur des axes stratégiques bien définis (alors que François Hollande continue d’expliquer qu’il n’y a pas de direction générale dans la stratégie
industrielle de la France).
Dans le "Talk Orange et Le Figaro" du 26 janvier 2012, le ministre Jean Leonetti s’amuse d’ailleurs à reconnaître que le candidat socialiste a des propositions qui sont bonnes et
des propositions qui sont nouvelles mais que malheureusement, ses propositions bonnes ne sont pas nouvelles (et sont déjà appliquées ou déjà proposées, comme la taxe sur les transactions
financières) et que ses propositions nouvelles ne sont pas bonnes (comme le recrutement massif de fonctionnaires).
Recrutement, redéploiement, tour de passe-passe avec les fonctionnaires
Par exemple, toujours ces fameux 60 000 recrutements de fonctionnaires dans l’Éduction nationale qui a plombé sa crédibilité en début de campagne (c’est Martine Aubry qui a levé le lièvre). François Hollande a corrigé un peu l’idée. Ce n’est pas seulement dans l’Éducation nationale mais
aussi dans la justice, la police et dans la gendarmerie. Comment va-t-il faire ? Il l’explique assez
bien : il y a 60 000 fonctionnaires qui partent chaque année à la retraite. Depuis 2007, seulement un fonctionnaire partant à la retraite sur deux est remplacé. Lui décide de rompre
avec cette politique. Si bien qu’il a des postes en plus, 30 000 en plus chaque année…
On peut évidemment s’étonner de vouloir créer encore de nouveaux postes alors que la France a un État qui
dépense déjà beaucoup trop (57%, 10% de plus que l’Allemagne). Le recrutement d’un fonctionnement est un
engagement financier sur cinquante ans au moins (carrière et retraite), ce n’est pas une mince affaire. La Cours des Comptes a évalué à 3,5 millions d’euros le coût moyen d’un fonctionnaire. Le
recrutement de 60 000 fonctionnaires correspond donc à un engagement global d’environ 210 milliards d’euros (soit 13% de la dette publique !).
D’ailleurs, il faut rappeler que ce n’est que depuis 2007 que le nombre de fonctionnaires a baissé. Depuis
trente ans, malgré les discours récurrents de la droite contre le recrutement des fonctionnaires, leur nombre avait toujours crû : 36% de plus en trente ans, soit 1,4 million de plus, pour
une augmentation de la population de moitié (18%), et l’État a doublé son budget pour les payer pour atteindre 48% des dépenses de l’État (selon un rapport de la Cour des Comptes publié le 9 décembre 2009). Même entre 1995 et 1997, période du gouvernement
d’Alain Juppé, le nombre de fonctionnaires a augmenté.
C’est donc plus un redéploiement qu’un recrutement. En ce sens, c’est plus sérieux que les recrutements
massifs antérieurs. Mais François Hollande a refusé de répondre à la question pourtant évidente (que la majorité et les journalistes n’ont pas manqué de poser avec insistance) : dans quels
ministères François Hollande prendrait-il ces nouveaux postes ? Et là, silence radio : tous les ministères en dehors des priorités qu’il vient d’indiquer. Alors, un journaliste
tente : Pôle Emploi aura-t-il donc des fonctionnaires en moins ? Non, Pôle Emploi fait aussi partie des priorités (qu’il n’avait pourtant pas cité initialement). En fait, il a refusé de
donner un seul nom d’administration dont il réduirait la voilure. Pas très honnête vis-à-vis des électeurs.
Déficits publics et politique fiscale
Concernant la réduction des déficits et la politique fiscale, François Hollande propose une tranche
supplémentaire de l’impôt sur le revenu, à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000 euros (ce qui est loin de la classe moyenne) et une augmentation du taux d’imposition de l’impôt de
solidarité sur la fortune (en maintenant le seuil relevé par le gouvernement actuel).
D’après Nicole Bricq (socialiste), rapporteure générale du budget au Sénat, la proposition de nouvelle
tranche d’imposition à 45% ne ferait rentrer qu’un demi milliards d’euros et cette année (assez bonne), l’impôt sur la fortune n’a fait rentrer que quatre milliards d’euros. Bref, l’imposition
des plus riches, si elle est pertinente d’un point de vue politique et morale, n’apporte pas grand chose dans la réduction des déficits publics.
François Hollande a voulu faire la guerre aux niches fiscales alors que ce ne sont que des incitations au
moyen d’une politique fiscale. S’il a raison de plafonner les réductions d’impôt sur les revenus (ce qui ne toucherait que les hauts revenus), il oublie que les « contrats de génération » qu’il veut mettre en place ne sont pas autres choses qu’une nouvelle niche fiscale. Le tout n’est donc pas de combattre
les niches fiscales, le tout est de définir une politique cohérente et équilibrée qui limite les dépenses de l’État tout en encourageant la croissance et l’emploi. La marge est donc très étroite,
quelle que soit l’identité de la personne qui sera élue le 6 mai 2012.
Malgré cet impératif, le programme de François Hollande reste dépensier puisque le retour à l’équilibre
budgétaire serait prévu pour 2017 et pas 2016 comme le gouvernement s’y est préparé.
D’ailleurs, François Hollande ne mise que sur une réduction de 29 milliards d’euros du déficit alors que son
ami socialiste Didier Migaud (proche de Martine Aubry), premier Président de la Cour des Comptes,
lui, estime qu’il faudrait réduire la voilure de 100 milliards d’euros (ce que propose François Bayrou).
Par ailleurs, les critiques (justifiées) contre la TVA sociale (ou emploi selon la terminologie gouvernementale) ne manquent cependant pas d’hypocrisie, surtout
lorsque c’est Manuel Valls qui les formule comme dans "Mots croisés" le lundi 23 janvier 2012 sur France 2
face à Jean-François Copé, alors qu’il l’avait soutenue avec conviction pendant le premier débat de la primaire socialiste (15 septembre 2011).
Confrontation Juppé-Hollande
Le clou du spectacle télévisé, ce jeudi soir, était évidemment les quarante-deux minutes pendant
lesquelles il a été confronté à Alain Juppé, Ministre d’État, Ministre des Affaires étrangères et des
Affaires européennes (et ancien Premier Ministre). J’aurais pensé qu’ils parleraient de la politique extérieure de la France mais malheureusement, ce ne sont que les affaires intérieures (et
européennes qui débordent sur l’économie) qui ont été le sujet principal.
Il faut reconnaître que François Hollande est meilleur en débat à la télévision qu’en discours sous les
préaux à imiter François Mitterrand. Il n’a rien lâché et j’ai trouvé Alain Juppé relativement médiocre et peu combatif face au grand dynamisme de son interlocuteur.
Il a bien sûr insisté sur les points faibles du programme de candidat socialiste (recrutement de
fonctionnaires, etc.) et a fait aussi remarquer que la demande de renégociation du traité européen juste après l’élection n’était pas plus raisonnable que tous ceux qui parlaient de "plan B" en
cas d’échec du TCE en 2005.
François Hollande se trompe d’ailleurs lorsqu’il dit qu’élu au suffrage universel, il aurait une nouvelle
légitimité et donc, une plus grande influence dans les négociations européennes. Nos partenaires européens se moquent bien de la situation intérieure d’un dirigeant et discutent avec le
représentant légitime de la France, et d’ailleurs, si un autre que François Hollande était élu, cette personnalité aurait, elle aussi, la même onction du suffrage universel.
Préfigurant peut-être l’intervention présidentielle de dimanche prochain, Alain Juppé a d’ailleurs
imprudemment indiqué que la France ferait des propositions concrètes à l’Allemagne lundi prochain, sans donner plus de précision.
Pas d’antisarkozysme par un "produit"… de même calibre
François Hollande a été très convaincant lorsqu’il a insisté sur le fait que sa campagne ne visait pas à
s’opposer à Nicolas Sarkozy (nom qu’au départ, il n’avait pas voulu citer mais qu’Alain Juppé lui a fait
prononcer, comme un écolier jouant dans une cour de récréation) mais à s’occuper de l’avenir du pays. Cette attitude n’est pas nouvelle puisqu’il fut l’un des rares éléphants du PS à toujours
refuser l’antisarkozysme facile et à toujours vouloir rester constructif.
À y regarder de plus près, François Hollande n’imite pas en fait François Mitterrand mais… le candidat
Nicolas Sarkozy de 2007 : très incantatoire, affichant un volontarisme de façade mais impuissant dans la réalité des faits (par exemple, dire qu’on s’oppose énergiquement au maintien d’un
yuan sous-évalué n’apporte pas grand chose concrètement à la France et doit même faire sourire le gouvernement chinois).
Même politique d’immigration ?
Même sur l’immigration choisie, François Hollande considère que la politique de Nicolas Sarkozy n’est pas si
mauvaise même s’il préfère l’appeler « immigration intelligente ». Pourtant, s’il y a bien un domaine à corriger les excès du quinquennat actuel, c’est bien sur cette relation entre l’État et les
étrangers. Les nuits entières à attendre devant, par exemple, la préfecture d’Évry pour renouveler tous les ans (et plus tous les dix ans) un titre de séjour n’est pas l’honneur de la France.
Pourtant, je n’ai pas entendu ni François Hollande ni son directeur de la communication, Manuel Valls,
également député-maire d’Évry, se scandaliser de ces humiliations d’autant plus honteuses qu’elles n’ont aucune efficacité en faveur de l’intérêt national.
Sortir du clivage factice droite/gauche…
Bouffi de ses soixante propositions présidentielles, François Hollande semblerait être bien parti, s’il était
élu, pour entrer dans le costume d’hyper-président ou de super-Premier Ministre. Je n’ai senti aucune impartialité d’un homme arbitre qui garantirait la cohésion sociale et le réconciliation
nationale dans une société durement clivée. Pire, je n’ai senti qu’une volonté factice de renforcer le clivage droite/gauche en dressant comme adversaire un insaisissable « monde de la finance » qui permet de rameuter des électeurs gauchistes en déshérence tentés par le vote néo-communiste.
Apparemment, cela semblerait fonctionner. Mais jusqu’à quand ? Car dans les sondages, ce qui est
troublant, c’est la permanence qu’au premier tour, il y a seulement 42% en faveur de candidats de gauche, et au second tour, il y en a 60%. Cherchez l’erreur…
Finalement, arrogance contre arrogance, il devrait bien y avoir un autre clivage, une autre solution, et à
bien y réfléchir, un autre choix.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (27 janvier
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le programme présidentiel de Hollande (à télécharger).
La laïcité en
question.
Balladurisation de Hollande ?
Dernier
sondage.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/debat-hollande-juppe-arrogance-108922