Le capitalisme est accusé de connivence. Pourtant, les termes « capitalisme » et « connivence » sont par définition antinomiques. Au contraire, le dirigisme est un cadre idéal pour la connivence.
Par Vladimir Vodarevski
Une nouvelle expression est apparu en économie dans les médias : le capitalisme de connivence. Elle désigne une économie dans laquelle la réussite dépend des relations avec le pouvoir. Cependant, l’association des termes « capitalisme » et « connivence » est contradictoire. En effet, le capitalisme, par définition, empêche cette connivence avec le pouvoir.
Cette association antinomique provient, d’une part, d’une déformation du concept de capitalisme. Et, d’autre part, d’une application abusive du concept pour décrire le monde contemporain.
Le terme capitalisme est utilisé, généralement, pour désigner l’économie de marché. Ce qui est correct. Sont ainsi opposées économies capitaliste et collectiviste. Cependant, dans le langage courant, le capitalisme est plutôt utilisé pour décrire une économie dominée par les grandes firmes. Les capitalistes sont ainsi les riches actionnaires des grandes firmes, les financiers. A contrario, un artisan ne sera pas considéré comme un capitaliste. Cette perception provient, sans doute, du marxisme, qui définit le capitalisme comme l’exploitation du prolétariat, des salariés donc. Par conséquent, qu’une connivence s’installe entre le grand capital et les gouvernants est inévitable, les capitalistes voulant pérenniser leur puissance, et l’accroître de plus en plus, au détriment de la majeure partie de la population.
C’est donc une vision du capitalisme inspirée du marxisme qui domine. C’est une opinion sur le capitalisme, sur ses conséquences supposées, et non sa définition. En effet, le capitalisme désigne bien l’économie de marché. Et celle-ci est le versant économique du libéralisme. C’est-à-dire que le capitalisme fait partie d’une doctrine qui défend la liberté, le droit de chacun de s’accomplir dans sa vie. La liberté exclut que quiconque prenne le contrôle de l’économie. Par conséquent, la connivence est difficile, sinon impossible, car elle est combattue.
À ces principes capitalistes, il est généralement répondu que le « laissez faire » provoque forcément la mainmise des « capitalistes », dans le sens du « grand capital », sur l’économie. Il y a là une confusion, involontaire pour le commun des mortels, mais plus problématique de la part d’un économiste. Le « Laissez faire » ne signifie pas absence de règles, des règles qui ont pour but d’empêcher quiconque de prendre le contrôle de l’économie à son profit. Même dans une économie sans État, prônée par certains libertariens, il y a des règles. Des règles qui empêchent la connivence.
À cette définition du capitalisme est opposé le concept de « capitalisme réel ». L’application du capitalisme mènerait à la connivence, à la concentration des pouvoirs entre les mains des riches capitalistes, contrairement à ce que prétend la théorie. La preuve en serait apportée par la crise actuelle. Pourtant, est-ce qu’une économie dont la dépense publique représente 40% du PIB peut être qualifiée de capitaliste ? Est-ce qu’une politique monétaire de soutien à la croissance peut être qualifiée de capitaliste ? Est-ce qu’une économie dans laquelle la notion de risque, en matière financière, est définie par la réglementation, est capitaliste ? Est-ce qu’une économie qui encourage, et même contraint les banques à accorder des crédits à des personnes insolvables est capitaliste ?
Cette économie décrite ci-dessus, ce sont les États-Unis d’Amérique. Celle-ci peut-elle être qualifiée de capitaliste ? De réellement capitaliste, alors que la puissance publique intervient autant dans la sphère financière ? Une politique est souvent mixte, appliquant différentes préconisations, contradictoires même. Les économies des pays développés appliquent des principes capitalistes. Comme la liberté de création d’entreprise, qui a permis à des entreprises comme Apple, Cisco, Dell, de se créer et de se développer. Mais de nombreux principes anti-capitalistes, dirigistes, sont également appliqués. Notamment dans le secteur monétaire, puisqu’aux USA la Fed a pour mission de soutenir la croissance par la politique monétaire, et que différentes réglementations annihilent les mécanismes de marché sur les marchés financiers (cf: Crédit bancaire US depuis 1973, Le surprenant pouvoir des agences de notation, et Le pouvoir de la notation est un effet des réglementations). Or, c’est justement de ce secteur que vient la crise, et c’est celui-ci qui est accusé de connivence.
Par conséquent, le capitalisme ne peut pas être accusé des soucis de connivence de l’économie contemporaine. Il n’y a pas un « capitalisme réel » qui aurait des effets différents des idéaux capitalistes. Cela, d’abord, car l’économie contemporaine n’est pas réellement capitaliste. Ensuite, les dysfonctionnements dénoncés proviennent d’un secteur soumis au dirigisme, pour éviter justement les excès supposés du capitalisme. Ce qui est d’ailleurs logique : le dirigisme, qui soumet l’économie à un pouvoir, engendre logiquement des problèmes de connivence. Il est plus facile d’établir une connivence quand une politique économique est dirigiste, que lorsqu’elle refuse de favoriser tel ou tel comportement.
En conclusion, capitalisme et connivence sont antinomiques, d’abord par définition, car le capitalisme combat la connivence, et ensuite dans la réalité, car les soupçons de connivence concernent essentiellement la finance, un secteur où c’est le dirigisme qui domine.
Le souci de connivence pose la question du dirigisme : comment éviter la domination de l’économie par les puissants quand l’économie est entre les mains d’un petit groupe ? Le capitalisme répond à cette inquiétude en restreignant le pouvoir d’ingérence. On peut être pour, on peut être contre. Mais il y a là une conscience du danger. Par contre, les dirigistes accusent un capitalisme réel inexistant de ces problèmes de connivence, alors que ce danger est inhérent au dirigisme, qui ne l’envisage pourtant pas.
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