UNE RUSE
Ma sonnette de rue tinta. Je m’éveillai.
Jean, mon domestique, parut.
Il tenait une lettre qui disait :
« Madame Pralus
Prie avec instance
M. le docteur Célance
De passer chez elle immédiatement.»
Je réfléchis
Et répondis :
« Le docteur, fort souffrant,
Prie Mme Pralus de vouloir bien
Appeler son confrère M. Damien.»
Je rendais à Jean le pli
Et me rendormis.
Une demi-heure après,
De nouveau, Jean me réveillait :
-Il y a quelqu’un dans l’entrée
Qui voudrait vous parler.
Il dit
Qu’il y va de la vie
De deux personnes.
Je me dressai :
-Faites entrer.
M’apparut une espèce de fantôme.
Dès que Jean fut sorti,
Il se découvrit.
C’était Mme Pralus. Elle passait
Pour la plus jolie fille
De la ville.
Il y a trois ans,
Elle avait épousé
Un gros commerçant.
Elle avait l’air affolé.
Ses mains tremblaient.
Elle balbutia : -Vite,…Docteur,...venez !
…Mon amant vient de décéder…
Dans ma chambre…Mon mari va rentrer…
-C’est vous qui êtes venue tout à l’heure ?
-Non,…c’est ma bonne…Elle sait…
Moi, auprès de lui,…j’étais restée.
J’ai si peur…
Oh, si vous saviez comme je l’aimais !
Jusqu’aux cheveux, elle s’est enveloppée.
Et nous partîmes dans mon coupé.
À peine étions-nous arrivés
Que dans sa chambre je vis le corps
Étendu au beau milieu. Je le considérais.
Je palpai les mains; je le tâtai encore.
Puis je dis aux deux femmes qui grelottaient :
-Aidez-moi à le porter sur le lit.
Habillons-le.; c’est fini.
Mme Pralus saisit la tête de son amant,
La regarda désespérément,
Puis l’étreignit
Et murmura simplement : -Adieu, chéri.
La porte d’entrée s’ouvrit à ce moment
Et se referma lourdement.
C’était Lui, déjà. On sursautait.
-Apportez-moi des serviettes
Et une cuvette !
J’entendis les pas monter.
Alors je l’ai appelé: -Par ici,
Nous avons eu un accident, cher ami.
Le mari stupéfait demanda :
-Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce que cela ?
-J’étais resté à bavarder avec votre femme
Et notre ami Pierre d’Haulame.
Voilà que soudain il s’est affaissé.
Je commençais
À lui porter les premiers soins…
Aidez-moi donc à le descendre.
Il n’habite pas loin.
Je l’ausculterai mieux dans sa chambre ;
L’époux surpris, mais sans méfiance
Me prêta assistance.
On empoigna son rival désormais inoffensif.
Nous voilà dans la rue avec l’escogriffe.
Je le redressai, l’encourageai, lui causai.
(Il fallait aussi tromper mon cocher) :
-Allons, ce ne sera rien, mon ami.
Faites un petit effort et ce sera fini.
On le bascula dans le coupé.
Derrière lui, je montai.
Le mari inquiet
Me demandait :
-C’est grave, pensez-vous ?
-Non, non ; à demain !
Elle, avait pris le bras de son époux.
Je serrai les mains.
Et donnai l’ordre :-Chez d’Haulame. Allez !
Le mort tombait sur mes genoux sans arrêt.
Quand enfin chez l’amant on arrivait,
J’annonçais, faisant le malin :
-« Il a perdu connaissance en chemin. »
Je constatai ensuite le décès
Et rentrai me coucher.
Signé du pseudo : Aimé Voux
Le sage doit quitter la vie avec autant de décence qu’il se retire d’un festin.
Démophile