"Niger, Mali, Mauritanie, victimes au premier chef de la déstabilisation régionale créée par le conflit libyen, sont désormais coloriés en rouge et oranges sur les cartes du ministère français des Affaires étrangères : ces pays sont donc interdits au tourisme, aux ONG, aux visiteurs. Les zones désertiques du Nord - routes commerciales depuis toujours - sont abandonnées aux bandits et aux terroristes, à la grande fureur des populations, majoritairement touarègues, qui y vivent.L'Occident n'offre plus que deux options : la coopération militaire et l'industrie minière - en exploitant notamment l'uranium du Niger, sous bonne escorte. Les contours d'un impérialisme à l'ancienne se dessinent et alimentent la fureur des djihadistes."
Voici reproduit ci dessous et en intégralité l'article de Nathalie Presvot, paru sur le site des Inrocks (21 janvier 2012)
Otages au Mali: Antoine et Vincent ont-ils été sacrifiés par l'Etat français?
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Il y a un an, Antoine de Léocour et Vincent Delory étaient tués au Mali durant l’opération qui devait les libérer. Ont-ils été sacrifiés par l’Etat français qui, pour d’autres otages, avait opté pour la négociation ?
Dimanche 8 janvier, dans le petit cimetière de Linselles, dans le Nord, une stèle noire à l'effigie de Vincent Delory et Antoine de Léocour a été dévoilée. Deux jeunes de 25 ans, absurdement tués il y a un an dans la brousse du Sahel, à la frontière entre le Niger et le Mali. Les deux amis d'enfance sont morts sur une scène de guerre lors de l'intervention des forces spéciales françaises contre le commando d'Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique) qui les avait enlevés le soir du 7 janvier 2011 dans un petit bar en plein air de Niamey, la capitale du Niger.Vincent était arrivé par le vol Air France quelques heures plus tôt. C'était sa première fois en Afrique. Antoine, lui, avait vécu au Niger et revenait y prendre femme. Les deux hommes sont morts le lendemain vers 10 h 30, heure de l'assaut donné par les forces spéciales héliportées sur un théâtre de sable, de poussière et d'épineux, après douze heures de cavale désespérée des ravisseurs pour tenter de regagner les montagnes du nord du Mali, le sanctuaire d'Aqmi, à bord d'un puissant 4x4 blanc.Mais les terroristes ont été "accrochés" avec leur précieux butin par un avion de surveillance français mobilisé dans la nuit. Dès lors, l'Elysée prend la décision de stopper le convoi. L'opération est menée grâce à la proximité d'un détachement du Commandement des opérations spéciales (COS) basé en permanence à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, à quelques centaines de kilomètres.Les deux familles réclament des éclaircissementsCe dimanche, on sent dans la voix d'Annabelle Delory, la soeur de Vincent, une certaine tension mêlée de fatigue."C'est très regrettable qu'on en soit arrivé là. Au départ, on a fait confiance... Mais c'est allé trop loin."Les parents et la soeur d'Antoine ont exprimé une colère à l'unisson de leurs compagnons d'infortune. "On n'est pas tout seuls à se battre, c'est bien." Les deux familles réclament des éclaircissements sur l'opération, son déroulement et son objectif. Cela agace manifestement les militaires, qui estiment être seuls juges de leurs actes et n'ont pas l'habitude d'être passés au crible démocratique. La valse-hésitation du ministre de la Défense en matière de levée du secret défense en témoigne. Des images ont été déclassifiées, sauf celles de la minute qui correspond à la destruction du 4x4 blanc. Le juge a entendu certains militaires, mais pas tous.Finalement, le 9 janvier, le ministre de la Défense et des Anciens combattants Gérard Longuet a déclaré, en soulignant que des militaires français étaient toujours en opération dans la région, que "tout ce qui pourra être donné sans mettre en cause leur sécurité sera naturellement donné. Le ministère de la Défense répondra favorablement à toute demande qui transitera par la commission de déclassement"."On attend de voir concrètement ce que ça veut dire", répond, assez froidement, Annabelle Delory. Il faut dire que depuis l'annonce brutale de la mort de son frère, elle a tout entendu. A chaud, un colonel leur a affirmé sans ciller que c'était mieux comme ça, finalement.
"Ils auraient été retenus très longtemps, torturés. Il nous a dit aussi qu'on ne pouvait pas négocier avec ces gens-là parce qu'ils ne veulent pas d'argent ; ce sont des fanatiques. Il nous a même dit que pour les otages d'Areva, il n'y avait aucun contact, aucune négociation possible. Et un mois après, on a vu Françoise Larribe libérée. On n'a pas compris", poursuit Annabelle.La famille suppose alors qu'on ne lui a pas dit la vérité. Car les négociations pour libérer les otages travaillant à la mine d'uranium d'Arlit (nord du Niger), exploitée par Areva, et enlevés en septembre 2010 étaient déjà largement avancées au moment de l'assaut de janvier et aboutiront en mars 2011 à la libération de trois d'entre eux.
"La vérité, c'est que Vincent et Antoine n'étaient pas salariés d'une grande entreprise, pas fils de ministre ou journalistes. Ils ont été sacrifiés."Ces maladresses de la Défense n'avaient sans doute pour but que de faire accepter le drame aux familles. La vérité, comme Gérard Longuet vient de le rappeler, est que "la seule façon de ne prendre aucun risque, c'est de ne rien faire". Un an plus tôt, Alain Juppé, alors ministre de la Défense, déclarait à la télévision : "Ne rien faire, c'était donner le signal que la France ne se bat plus finalement contre le terrorisme. Voilà la décision qu'il fallait prendre, elle était grave, elle était lourde, nous l'avons prise et nous l'assumons pleinement."Mais le prix, ce sont les familles qui l'ont payé. Sans que personne ne les consulte sur l'opération prévue. C'est pourquoi elles interrogent le gouvernement sur le choix d'une intervention musclée, qui laissait, de l'avis de tous les spécialistes, peu de chances de s'en sortir aux deux otages.
"S'il y avait raison d'Etat, s'il fallait envoyer un signal fort, qu'on nous le dise. Que la France soit claire !"Là encore, l'exécutif français n'aime pas rendre des comptes. L'Assemblée, muette et retranchée derrière l'union nationale contre le terrorisme, lui facilite grandement la tâche. Un seul député a pris publiquement position contre l'opération au sein de la Commission Défense de l'Assemblée et sur son blog : Yves Fromion, ancien militaire de carrière, UMP de surcroît. "Chacun peut apprécier ce qu'il en est de cette affaire qui s'est déroulée dans des conditions calamiteuses (...) Mauvaise appréciation ? Ruptures capacitaires ? Complexités diplomatiques ? (...) La France doit pouvoir démontrer qu'elle est capable d'une autre alternative que de subir les prises d'otages ou de consentir à leur perte."Les faiblesses de la politique de la FranceEn réalité, la France a-t-elle une politique face à Aqmi ? Cette alternance de coups de menton et de coups de millions doit-elle être reliée au statut social des otages, comme le craignent les familles, ou n'est-elle dictée que par les opportunités du moment ? Quoi qu'il en soit, la politique de la France présente d'autres faiblesses autrement plus graves. Tout d'abord, les rançons versées permettent à Aqmi de s'armer et de se renforcer. Plusieurs pays de la région - le Sahel compte les pays les plus pauvres du monde - s'en inquiètent publiquement.On parle de 12 millions d'euros versés pour faire libérer trois des sept otages d'Arlit. L'inégalité des otages dans la guerre de la France contre Aqmi est bel et bien réelle. Guillaume Denoix de Saint-Marc, directeur général de l'Association française des victimes du terrorisme, réclame une enquête parlementaire sur les différentes prises d'otages au Sahel : "La politique de la France est changeante, incohérente, opaque. Il faut que les Français sachent quelle est la ligne désormais, qu'on négocie ou qu'on les abandonne."Il existe des "canaux" de négociation. Les milieux du renseignement les suivent de près : Burkinabés, Algériens, proches des émirs, Touaregs ou même barbouzards. Tous ces canaux sont bien huilés par de grosses enveloppes qui font le bonheur des intermédiaires, français ou sahéliens, dans l'opacité bienheureuse du secret défense et de la raison d'Etat... On n'ira pas y voir de trop près. Au-delà de cet aspect des choses ne sert-on pas plutôt les intérêts politiques d'Aqmi ?Louis Gautier, président d'Orion-Observatoire de la Défense, a publié en janvier 2011 un texte collectif très virulent : "Jusqu'à présent la réponse française a tergiversé, au risque de se laisser entraîner, par facilité ou réflexe de force, dans une escalade - recherchée par Aqmi -, aux conséquences pour le moins hasardeuses." "Toute intervention pourrait aggraver la situation, et notamment renforcer le sentiment antifrançais, déjà de plus en plus fort. L'image de la France dans la région a beaucoup changé : elle n'est plus un pôle d'attraction, elle est perçue au travers de son action anti-migratoire jugée brutale et de sa politique tenue pour hostile à l'islam. (...) La voie militaire choisie par les Occidentaux fait donc courir bien plus de risques qu'elle n'offre de solutions."Même vision du politologue Jean-François Bayart : pour lui, en hissant Aqmi à son niveau, la France lui a donné du crédit. "En combattant l'islamisme du haut de leur arrogance (ou de ce qui est perçu comme tel par nombre de musulmans), [Français et Américains] donnent aussi à celui-ci des lettres de noblesse anti-impérialistes qui ne laisseront pas insensibles tous les damnés de ce morceau de terre."Niger, Mali, Mauritanie, victimes au premier chef de la déstabilisation régionale créée par le conflit libyen, sont désormais coloriés en rouge et oranges sur les cartes du ministère français des Affaires étrangères : ces pays sont donc interdits au tourisme, aux ONG, aux visiteurs. Les zones désertiques du Nord - routes commerciales depuis toujours - sont abandonnées aux bandits et aux terroristes, à la grande fureur des populations, majoritairement touarègues, qui y vivent.L'Occident n'offre plus que deux options : la coopération militaire et l'industrie minière - en exploitant notamment l'uranium du Niger, sous bonne escorte. Les contours d'un impérialisme à l'ancienne se dessinent et alimentent la fureur des djihadistes.Nathalie Prevost