Ce serait un livre sur les hommes, sur l'amour des hommes : objets aimés, sujets aimants, ils formeraient l'objet et le sujet du livre. Les hommes en général, tous - ceux qui sont là sans que jamais l'on sache autre chose que leur sexe : ce sont des hommes, voilà tout ce qu'on peut en dire -, et les hommes en particulier, quelques uns. Ce serait un livre sur tous les hommes d'une femme - père, grand-père, fils, frère, ami, amant, mari, patron, collègue..., dans l'ordre ou le désordre de leur apparition dans sa vie, dans ce mouvement mystérieux de présence et d'oubli qui les fait changer à ses yeux, s'en aller, revenir, demeurer, devenir.
Après avoir lu L'Amour, roman, qui m'avait pourtant laissée assez perplexe, j'étais curieuse de découvrir d'autres récits de Camille Laurens, et notamment celui-ci. Je pressentais en effet qu'il y avait dans ces écrits quelque chose qui me donnerait peut-être une clé, ou en tout cas un indice, bref, que cela me parlerait. Et autant le dire tout de suite : j'ai eu raison !
Dans ce texte, la narratrice commence un nouveau roman. Un "carnet de bal", où elle évoque tour à tour tous les hommes passés dans sa vie, puisque depuis toujours les hommes sont l'unique objet des ses préoccupations : l'éditeur, le père, le mari s'invitent ainsi, au milieu d'autres, dans cette danse. Dans le même temps, elle a le coup de foudre pour un homme aperçu dans la rue, et qu'elle n'a pas pu s'empêcher de suivre... l'homme se révélant après enquête psychanalyste, elle commence des séances.
Je pense que ce roman est tombé à un bon moment. D'abord parce que depuis que j'avais lu l'autre, je m'étais renseignée plus avant sur l'auteur et sur l'autofiction, et j'ai donc pu y entrer plus facilement. En outre, la réflexion qu'elle propose, d'un point de vue personnel, tombe à pic (mais le hasard existe-t-il ?). D'ailleurs, je n'ai pu m'empêcher de remarquer certaines similitudes entre ce texte et mon propre roman, sans que ce soit voulu.
Ce livre est une sorte de déclaration d'amour aux hommes, à la virilité. Elle aime passionnément les hommes, et de ce texte les femmes sont les grandes absentes. Les hommes : son père, son grand-père, son premier amour, son mari, ses amants, son fils mort à la naissance. Cette litanie des sujets masculins, entrelacée avec les séances chez le psy, permettent de varier les registres : comique à l'occasion, tragique parfois, lyrique souvent, avec de magnifiques aphorismes sur l'amour : "attendre quelqu'un, n'est-ce pas un moyen d'être avec lui ?" ou sur la vie : "il y a de ces coïncidences qui, dans un roman, paraîtraient pénibles mais qui, dans la vie, répondent à une nécessité dont personne ne s'étonne". Et la force de Camille Laurens, c'est justement de parvenir à mêler comme cela la gravité et la légèreté, et de donner à lire un texte éminemment sensuel, voire charnel. On le lui a d'ailleurs reproché : s'agissant d'autofiction, on le lui a reproché (je me souviens d'un article où elle évoquait la lettre d'une lectrice l'accusant, en gros, d'outrage aux bonnes moeurs : vous aimez trop les hommes, vous êtes une salope - j'espère ne pas confondre), mais enfin, ce n'est pas Catherine Millet (et quand bien même !). Du reste, ce roman, qui a obtenu le prix Femina et le Renaudot des lycéens en 2010, a aussi été beaucoup apprécié de la critique, n'en déplaise aux fâcheux !
Bref, une lecture que je vous recommande chaudement, bien évidemment !
Dans ces bras-là
Camile LAURENS
POL, 2000 (Folio, 2002)