Fille et petite fille de pieds-noirs c’est avec un sentiment d’envie étrange que je suis allée à Stimultania. J’attendais beaucoup de l’exposition « Images d’Algérie de Pierre Bourdieu » qui est visible jusqu'au 12 février : voir des paysages rêvés, des gens et une culture racontés et imaginés.
Pierre Bourdieu (1930-2002) je le connais par deux ouvrages : L’Amour de l’art. Les musées et leur public (1966) et Un Art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie (1965), logique vous me direz pour quelqu'un s'intéressant à la photographie et travaillant dans un musée. Et c'était tout ou quasi ce que je savais: sommité de la sociologie, modèle, grand intellectuel, etc. Mais j'ignorais que son travail de sociologue, il l'avait commencé en Algérie et qu'avant cela il était philosophe. Il a été en Algérie pour faire son service militaire et c'est à cette occasion qu'il a commencé à faire des photos, à observer, à décrire et à rendre compte de ce qu'il voyait : il s'est fait le témoin d'une société qui s'émancipait, vivait avec la guerre, se rebellait et essayait de se créer.
Dans l'expo, une chronologie nous rappelle aussi les grandes dates de la guerre d'Algérie, du début d'actions militaires par le FLN (Front de Libération Nationale) en novembre 1954 à la proclamation de l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962 en passant par la bataille d'Alger (janvier 1957), le discours de De Gaulle qui est pour l'autodétermination de l'Algérie (16 septembre 1959), etc. Ce qui est étrange dans les photos de Bourdieu, c'est qu'il était en Algérie pendant la guerre mais qu'on ne la voit presque pas : dans un couloir de la scénographie, on voit le nom de De Gaulle peint sur un mur, des barbelés aussi et ce sont presque les seuls éléments indiquant que le pays est en guerre et qu'il s'agit qui plus est d'une guerre civile. Mais Bourdieu montre les algériens au travail, les femmes, les enfants, le quotidien de ces individus et dresse ainsi leur portrait.
Bourdieu ne photographie pas la guerre (même si elle est présente), il photographie une société et c'est dans ses photographies que l'on voit émerger le sociologue, étonnant. Tout au long du parcours, on peut consulter des extraits de texte de Bourdieu qui nous parle des algériens et les cite, drôle parfois, intéressant et émouvant aussi. Ainsi, on peut lire : « On part chaque matin à la recherche du travail, plus ou moins tôt selon qu'on espère vraiment ou que l'on est déjà résigné ; on va toute la matinée, de chantier en chantier, se fiant aux dires d'un ami, d'un cousin ou d'un voisin. Rentrer à la maison à midi ? On s'arrête au café où l'on consomme en fumant avec les copains. On en vient à faire profession de chercher. ». Anecdotes et observations de Bourdieu se succèdent et permettent de comprendre ce que l'on voit et aussi ce qu'est cette Algérie qui se révolte.
J'ai trouvé cette expo bizarre malgré tout. J'y ai beaucoup appris mais ce que j'ai vu ne correspondait pas aux images que je m'étais fabriquées. Logique, j'ai interprété, imaginé ce que mes parents ou mes grands-parents m'ont raconté, ce qu'ils ont vécu dans ce pays où ils sont nés et qui était le leur à ce moment-là. Et je dis cela alors que je sais pertinemment que l'Algérie était une colonie française (un peu particulière, ok) et que chaque état a le droit de s'autodéterminer, mais je sais aussi que De Gaulle restera quelque part ce grand con comme le disait mon grand-père. La seule chose que je regrette c'est de ne pas (avoir) poser(é) plus de questions pour comprendre et connaître cette vie qu'était celle de ma famille et donc de mes origines. Je pense que la transmission passe par les photos, les histoires, les recettes de cuisine, etc. Et cette expo m'a donné envie que l'on me raconte tout ce que je n'ai pas demandé jusqu'à présent.
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« Images d’Algérie de Pierre Bourdieu » jusqu'au 12.02.12 / Galerie Stimultania / 33, rue Kageneck / Strasbourg / ouvert du mercredi au dimanche de 15 h 30 à 18 h 30 / entrée libre