Moins de six mois après la sortie du génial Les Aventures de Tintin, dans lequel il prouvait qu’il n’avait rien perdu de sa fougue, Spielberg remet le couvert avec Cheval de Guerre, adapté d’un roman pour adolescents. Un sujet en or pour le réalisateur, puisque le film raconte une histoire d’amitié entre un adolescent et son cheval, sur fond de Première Guerre Mondiale.
La première partie du film évoque d’ailleurs immanquablement E.T., dans sa naïveté et sa description de la relation naissante entre Joey et son jeune maitre Albert, même si cette ouverture déborde parfois un peu trop de bons sentiments, renforcés par la photographie bucolique assez surprenante de la part de Januskz Kaminsky. Mais cette introduction un peu indigeste n’est finalement qu’une mise en bouche permettant de préparer le spectateur pour le prendre à revers sitôt que le vrai sujet du film est abordé. En effet, une fois Joey arraché à son jeune maitre et vendu à l’armée britannique, le film s’emballe et s’enfonce dans une noirceur surprenante et peu commune pour un film estampillé « pour gosses ». Car que l’on ne s’y trompe pas, Cheval de Guerre n’est pas qu’une belle histoire d’amitié entre un adolescent et son cheval, c’est avant tout un film de guerre, voire même un film sur la guerre et ses horreurs, ne cherchant pas à caresser le spectateur dans le sens du poil.
Avec Cheval de Guerre, Spielberg réalise probablement son plaidoyer anti-guerre le plus abouti et le plus radical. Refusant le semi-patriotisme d’Il faut sauver le Soldat Ryan ou le point de vue unique de La Liste de Schindler, le réalisateur s’attache ici à montrer qu’un le conflit armé quel qu’il soit ne fait au final que des victimes, dans quelque camp que ce soit. Cheval de Guerre prend donc très souvent aux tripes, que ce soit en montrant le conséquences mortelles d’une erreur stratégique (la charge tragique des cavaliers britanniques sur une infanterie allemande les attendant avec des mitrailleuses), le sort réservé aux déserteurs, même mineurs, ou aux chevaux, utilisés jusqu’à l’usure, l’horreur des tranchées, ou encore les conséquences sur la population civile dont les biens sont réquisitionnés. En multipliant les points de vue et les nationalités (Britanniques, Allemands, Français, Autrichiens, tous incarnes par des acteurs de la nationalité en question), Spielberg parvient à saisir en deux heures trente l’essence de la « sale guerre » et à rendre toute l’horreur de ce conflit stupide, sans avoir à montrer à l’écran des corps en charpie comme dans la scène d’ouverture d’Il faut sauver le Soldat Ryan. Le réalisateur joue même avec intelligence de l’humour, au cours d’une scene absurde et pleine de poésie (la trêve temporaire entre un soldat britannique et d’un soldat allemand pour libérer Joey pris dans des fils de fer barbelés).
Les morceaux de bravoures sont nombreux, et certaines scènes vont certainement rentrer dans les annales de la filmographie du réalisateur : la traversée folle du No Man’s Land, le massacre de la cavalerie britannique, la terrible montée de la colline dans la boue pour tirer un lourd canon, les émouvantes retrouvailles entre Joey et Albert… Le casting est aussi excellent, que ce soit le jeune Jeremy Irvine dont le visage candide sied parfaitement au personnage d’Albert, ou les acteurs plus confirmes dans les seconds rôles : Peter Mullan, Emily Watson, David Thewlis, et même notre Niels Arestrup national, bien loin de son rôle de chef de gang terrifiant d’Un Prophète…
Bien loin du joli spectacle un peu niais que la bande-annonce laissait présager (même le happy end final est en demi-teinte, a l’image de celui de La Guerre des Mondes), ou du Spielberg mineur auquel on pouvait s’attendre, Cheval de Guerre est un magnifique plaidoyer contre la guerre, tout autant qu’un formidable divertissement familial, synthétisant à merveille toutes les obsessions du réalisateur. 2012 commence très fort !
Note : 8.5/10
USA, 2012
Réalisation : Steven Spielberg
Scénario: Lee Hall, Richard Curtis
Avec: Jeremy Irvine, Peter Mullan, Emily Watson, David Thewlis, Niels Arestrup