La semaine dernière, les poids lourds du web s’étaient ligués pour dénoncer les lois SOPA et PIPA qui visaient à réguler Internet et favoriser les ayants droit, en proposant un arsenal juridique qui remet en cause le modèle contributif de sites que l’on utilise tous les jours. Une première attaque contre le web qui a engendré un « black out » de nombreuses plateformes, comme la version anglo-saxonne de Wikipédia et Reddit. Google, Facebook ou encore Amazon se sont aussi fendus de communiqués anti-SOPA.
Alors que certains parlementaires américains commençaient à reculer, les dirigeants de Megaupload, le plus gros site de téléchargement direct (par opposition au P2P) ont été arrêtés et le site mis hors-ligne. Les ayants droit, regroupés dans des lobbys comme la RIAA, ont donc réussi à imposer la fermeture de ce site, devenu leur bête noire faute d’avoir pu négocier avec eux comme le démontre les pièces du procureur en charge du dossier Megaupload. Ce site permet à des centaines de milliers de personnes de télécharger du contenu, légal parfois mais surtout illégal au regard des législations sur les droits d’auteur.
Autre point marquant, la riposte Anonymous. Immédiate et puissante, elle fournit un étendard qui, partout dans le monde, permet de regrouper les indignés du numérique qui s’opposent à toute tentative de « civiliser » le web ou d’entraver les libertés de publication et de partage des créations. Cette revendication d’une indépendance du cyberespace n’est pourtant pas nouvelle. En 1996, c’est John Perry Barlow, ex parolier des Greatful Dead et fondateur de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), qui publie un manifeste en ce sens, alors que les Etats-Unis commençaient à légiférer drastiquement Internet. Il y oppose alors avec poésie les « gouvernements du monde industriel, ces géants de chair et d’acier » au cyberspace, qui accueille en son sein les libres penseurs. « Vous n’êtes pas les bienvenus chez nous », précise-t-il alors. Avec lui, les hackers, ces bidouilleurs de l’informatique insoumis qui ont créé Internet, entendent défendre ce territoire comme une maison devant être gérée par leurs valeurs et leurs lois, horizontales, participatives, consensuelles, comme le sont les protocoles techniques (W3C, IETF) et les logiciels libres…
Anonymous s’inscrit dans cette lignée de défenseurs d’un cyberespace autonome, à la différence notable que le phénomène n’est par essence pas structuré et rassemble au delà des aficionados de l’informatique. Anonymous, c’est la bannière utilisée par tout ceux qui se retrouvent dans les valeurs des hackers, qui défendent la liberté d’expression et la neutralité du réseau, de façon anarchique, parfois contradictoire, mêlant humour potache et revendications politiques fortes.
Dès 2008, Anonymous était en prise avec les associations de défense des ayants droit américains. Une opposition bien naturelle : d’un côté les derniers nés de l’Internet, nourris de la culture de l’image qui se copie, se partage et se détourne à l’infini, et de l’autre les représentants d’un monde où le contenu est un produit figé qui s’achète individuellement. Deux modèles incompatibles. Des attaques DDoS, qui en mutualisant les efforts d’internautes permettent d’empêcher l’accès au site ciblé, sont alors menées dans le cadre d’opérations dites Payback contre la RIAA et Sony.
Depuis, Anonymous a grandi. Le soutien à Wikileaks en 2010 a marqué un tournant vers une logique beaucoup plus médiatique, visant plus à « hacker » le monde de l’information pour faire entendre d’autres voix que des faits d’armes purement numériques ou potaches. Si parfois Anonymous est l’étendard qui sert à revendiquer des actions d’intrusions informatiques et de diffusions massives de données piratées, c’est aussi le phénomène qui s’est engagé aux côtés des révolutions arabes et d’Occupy Wall Street.
C’est via ce prisme que l’on doit certainement comprendre les récentes attaques d’Anonymous contre les sites du Département de la Justice américain, de la Maison Blanche, de Sony, du FBI, etc.. Il s’agit de s’en prendre aux représentations numériques d’un pouvoir économique et politique qui soutient une vision d’Internet en contradiction avec les valeurs d’Internet.
Comme l’on s’indignerait contre le gouvernement en rejoignant un sit-in place de la Bastille, sur Internet les revendications prennent des formes de mobilisation qui, bien qu’illégales, sont certainement représentatives d’une prise de conscience citoyenne et d’une envie d’agir sans violence et sans volonté de détruire. Cette opération, épidermique mais pas irrationnelle, n’est certainement pas la dernière.
Source : www.fypeditions.com