C’est l’histoire d’Aurélien, un petit con de 26 ans à l’époque qui balançait l’histoire d’un mec qui surprend sa petite amie avec un autre et qui débite dans un rap plein de fiel tout le malheur qu’il lui souhaite. Le titre s’appelait Sale pute, les féministes lui sont tombées dessus, il s’est fait interdire de radio, de festivals… Bref, comme en France, le rap a assez mauvaise presse et qu’Eminem en version française n’est pas la chose la plus agréable a écouter, le pauvre Aurélien a préféré se faire un peu plus discret.
C’est toujours l’histoire d’Aurélien, sauf qu’il est devenu un homme de 29 ans. Il a travaillé son physique, dans un premier temps : fini le gamin avec les bonnes joues, le crâne rasé et le survet’, bonjour au jeune premier avec petite mèche et chemise stylée. Puis il a travaillé sa communication media : maintenant qu’il a l’air à peu près présentable, il enchaîne les plateaux télé en quête de rédemption. Dans son discours de promo, on dirait un mec qui a tabassé son ex-femme et qui essaie de rassurer les jurés au tribunal : Regardez, j’ai changé d’apparence, j’ai changé d’attitude, j’ai mûri sur la situation… Il est évident qu’après la bronca provoquée par Sale pute, s’il avait voulu continuer sa carrière, il devait montrer des signes évidents de maturité.
Et quoi de mieux pour illustrer ce changement qu’un album ? Il est sorti fin 2011, il s’appelle Le chant des sirènes. Pour avoir écouté deux-trois morceaux au passage pour me documenter, j’ai été clairement assez abasourdie par la qualité d’écriture. La première chose que je me suis dite, c’est qu’il a dû énormément travailler sur ses rancœurs pour livrer un titre pareil :
Alors oui, la rage est la même que lors de ses précédentes prestations. Quand on écoute Suicide social, dans un premier temps, on a l’impression qu’écouter un sale rageux de banlieue qui balance tout ce qui l’énerve pour éviter de prendre un flingue et de tirer dans le tas dans un square un mercredi après-midi. Bref, on ne voit pas l’originalité d’un tel travail, on se dit que c’est vain, qu’il ne va pas changer le système en balançant ces inepties. Certains esprits chagrins pourraient même dire que, s’il n’est pas content de sa vie, qu’il trouve au moins le courage de retourner son arme contre lui.
Sauf qu’il y a une construction dans cette diatribe. Quand on regarde les paroles de plus près, il y a quand même une argumentation sur sa violence, et pas seulement des mots lancés en l’air. Déjà, on sent tout de même une écriture en français plus soutenu que chez la majorité des rappeurs, d’où le soupçon de ne pas appartenir au cliché de la banlieue. Il est vrai, Aurélien est d’origine normande, est fils de prof et se paye même le luxe d’avoir eu le bac dans une filière générale et à 18 ans. Justement, le fait que ce soit un petit Blanc de province qui s’approprie les codes de la banlieue parisienne (ou marseillaise) fait de lui un cas original en soi.
Bien sûr, depuis ses débuts dans le milieu, plusieurs comparaisons fleurissent à son sujet. On l’a comparé à TTC pour son côté blanc-bec provocateur, comparaison qu’il récuse lui-même, ne se sentant pas dans ce côté rap électro un peu trop élitiste à son goût. Mais la comparaison la plus flagrante à son sujet, et celle qu’il accepte volontiers, serait avec Eminem. Que ce soit par ses paroles douteuses au point d’ulcérer les associations féministes et LGBT les plus diverses, ou par sa hargne de chien fou quand il rappe, on ne peut s’empêcher de penser au petit peroxydé de Detroit qui crache sa haine sur le monde entier, sa femme, les gays et même sa mère. En tant qu’OrelSan, Aurélien a tout à fait cette stature.
Quoi qu’il en soit, le rap d’OrelSan n’a rien de complaisant. Mais c’est un risque à prendre quand on possède cette qualité d’écriture. Maintenant, je lui reprocherais encore deux-trois petites choses : un rap trop nerveux, une bande-son un peu pauvre… Mais, indubitablement, le talent est là. Continue de travailler, Aurélien, tu es sur la bonne voie.