La toile est devenue l’ennemie de tous les pouvoirs, politiques et économiques, qui cherchent à s’approprier le monopole des idées, de la culture, bref de leurs contre-pouvoirs naturels.
Un article d’Aurélien Véron.
Le site Megaupload a été mis hors d’état de fonctionner à Hong-Kong, sans aucune forme de procès. Ses responsables ont été arrêtés comme de grands criminels internationaux. Nous avons découvert que depuis des mois, à l’autre bout du monde, leurs communications avaient été décortiquées et leur vie privée fouillée par le FBI aux États-Unis. L’entreprise est tombée brutalement sous la puissance de feu des États-Unis qui, de l’autre côté du monde, peuvent envoyer des corsaires fermer un site qu’ils jugent contraires à leurs intérêts. La faute de ces quasi-terroristes ? Permettre d’échanger des fichiers à travers le monde, notamment des films et de la musique sans l’accord des distributeurs. Une fois de plus, la connivence entre l’industrie du copyright et les gouvernements apparaît clairement. Mais en tentant de mettre fin à une tendance de plus en plus banale, cette économie du droit d’auteur s’oppose à un ordre social qui avance contre elle. Combien de temps les pouvoirs publics resteront-ils complices de ces entreprises au risque de perdre des électeurs ?
Nicolas Sarkozy s’est bien sûr félicité de la mise hors de nuire de cette entreprise qui figure parmi les 100 sites du monde les plus visités. La forme de cette intervention brutale s’inscrit parfaitement dans sa stratégie de contrôle et de répression du net. Pour les politiques aux méthodes autoritaires, la toile n’est pas seulement un espace de commerce ou d’échange de fichiers de films ou de musique. C’est aussi l’émergence de nouveaux médias, de nouveaux réseaux, de contestations organisées, voire de révolutions latentes. La toile est devenue l’ennemie de tous les pouvoirs, politiques et économiques, qui cherchent à s’approprier le monopole des idées, de la culture, bref de leurs contre-pouvoirs naturels.
L’affaire pose la question du droit d’auteur. Ce concept moderne a beaucoup évolué depuis sa création. Initialement destiné à protéger les auteurs contre leurs éditeurs, c’est devenu un outil de contrôle au service des éditeurs et des distributeurs indépendamment de la volonté et de l’intérêt des artistes. Une toute petite minorité d’entre eux bénéficie de cette construction intellectuelle de plus en plus restrictive. Combien se sont retrouvés piégés dans cet univers cloisonné dominé par quelques grands groupes ? Aujourd’hui, la révolution technologique permet à n’importe quel talent musical d’avoir sa chance sans avoir été filtré par un groupe du secteur, d’émerger, de trouver son public et son modèle économique (contributif, concert, produits dérivés, etc.) sans avoir à rentrer dans les arcanes d’un secteur verrouillé.
Le secteur du cinema n’échappe pas au changement en cours. L’industrie du film a beaucoup plus à perdre que l’industrie du disque, compte tenu des budgets en jeu. Sa résistance au changement des usages dans le monde est donc nettement plus forte. Mais la révolution est lancée, les mœurs évoluent vite, très vite. Et un certain nombre d’entreprises concernées ont déjà réfléchi à de nouveaux modèles économiques qui leur permettent de vivre de leurs films. Entre un PS et une UMP encore très rétrogrades sur la question, François Bayrou est l’un des seuls candidats à avoir annoncé son opposition à la Hadopi et à la censure du net. Ce sujet de société ne devrait pas tarder à devenir un thème de campagne.
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Sur le web
Publié initialement sur le lab Europe 1.