En principe, Airbus et Boeing n‘ont rien à cacher : les prix «catalogue» de leurs avions civils sont publics, dûment affichés, et régulièrement revus à la hausse selon des critères qui, en revanche, sont tout à fait opaques. Bien sûr, l’inflation est prise en compte. Mais laquelle ? Celle du pays d’origine ? Dans le cas d’Airbus, trois des pays concernés sont dans la zone euro, le quatrième ne l’est pas. Et les partenaires et fournisseurs sont installés partout dans le monde, Etats-Unis en tête. La situation de Boeing n’est plus simple qu’en apparence, seul le dollar américain étant pris en considération. Mais d’importants sous-ensembles sont produits au Japon et en Italie tandis que des fournisseurs importants travaillent, par exemple, …en France.
Dans ces conditions, le moins que l’on puisse dire est que les cartes sont brouillées. Longtemps, Airbus, dont les prix sont affichés exclusivement en billets verts, a eu la réputation de calculer ses tarifs par comparaison avec ceux de Boeing, en mettant au second plan de prix de revient réel des avions assemblés à Toulouse et à Hambourg. Le juste prix, bien entendu secret, ne pouvait pas être pris en compte, tout simplement parce qu’il était trop élevé par rapport aux propositions de la concurrence. Les Européens n’étaient pas pour autant condamnés à perdre de l’argent mais le seuil de rentabilité de leurs programmes se situaient plus loin sur la ligne d’horizon.
Aujourd’hui, le rapport des forces en présence n’est plus le même. Tout le monde parle encore et toujours en dollars et des efforts méritoires consacrés à l’instauration de prix exprimés en euros n’ont pas abouti. En revanche, le «dollar faible» et «l’euro cher» se font face comme au premier jour de la monnaie unique. Un handicap de compétitivité qui fait couler beaucoup d’encre et conduit régulièrement les analystes à prévoir l’installation tôt ou tard d’une chaîne Airbus aux Etats-Unis. L’impact en serait pourtant psychologique, mais sans impact économique majeur, l’assemblage des avions ne représentant qu’une très faible part du volume total de travail, de l’ordre de 5%.
D’ailleurs, que signifient vraiment les prix «catalogue» ? Un repère, sans plus, une base de discussion : tout est durement négocié et les rumeurs les plus folles circulent régulièrement à propos de remises insensées qui seraient accordées aux compagnies aériennes pour leur arracher un contrat. Une supposition très surfaite dans la mesure où la preuve est faite, à l’examen des comptes, que le groupe Boeing, d’une part, EADS, de l’autre, gagnent leur vie. Et, quand ce n’est pas le cas, c’est en raison de difficultés ponctuelles, par exemple l’impact de retards considérables (à commencer par celui du 787) ou celui de surcoûts industriels (la mise en production ratée de l’A380).
Récemment, Tom Enders n’en a pas moins exprimé la ferme volonté de dégager des marges plus importantes. Ce qui contribue à expliquer que les prix viennent d’être relevés de 3,9%et de 6,1% pour les NEO. L’A320 classique est dorénavant affiché à 88,3 millions de dollars tandis que le 737-800 coûte 84,4 millions. L’A350-800 XWB démarre à 245,5 millions, le 787-8 à 193,5 millions , l’A330-200 est proposé à 208,6 millions alors que le 777-200ER coûte 244,7 millions. Mais qui paie vraiment combien ? Impossible de le savoir.
L’autre grand mystère, parallèle à celui des avionneurs, est celui qui entoure les prix affichés par les motoristes. Ils se livrent une guerre sans merci et souffrent d’une mauvaise réputation : ils afficheraient des tarifs irréalistes avec la ferme intention de se rattraper grâce à la bonne rentabilité des pièces de rechange. Ce faisant, ils s’inspireraient des méthodes …des fabricants de photocopieuses ! Appareils vendus très bon marché, sans doute en-dessous des coûts réels mais cartouches d’encre chères et, bien entendu, non interchangeables d’une marque à l’autre.
Les chiffres sont impressionnants. Ainsi, CFM International, «joint venture» à 50/50 de General Electric et Snecma, vient d’annoncer avoir placé l’année dernière 1.500 CFM56 (notre illustration) et 3.056 Leap-1 pour un montant «estimé» à 51,7 milliards de dollars «sur la base du prix catalogue». Bien entendu, on n’en saura pas davantage, si ce n’est que ce bilan impressionnant inclut la vente de 94 moteurs destinés à des applications militaires …et des rechanges. Mais, pour l’essentiel, il s’agit de motoriser des A320 classiques et NEO, des 737 MAX et NG et de premiers Comac C919 chinois.
On connaît la conclusion, qui n’est pas nouvelle : dans le transport aérien, tout le monde gagne sa vie, sauf les compagnies aériennes.
Pierre Sparaco - AeroMorning