Die Blechtrommel Traduction : Jean Amsler Présentation : Jean-Pierre Lefebvre
Extraits Personnages
Ceux qui sont en quête d'un tableau réaliste de l'Allemagne de l'Entre-deux-guerres, du IIIème Reich puis de l'immédiat Après-guerre seront certainement déçus et plus encore déroutés par la lecture de ce livre brillant, matois, chargé jusqu'à la gueule d'un humour étrange, tour à tour féroce et nostalgique, et par-dessus tout hanté par les fantasmes et un onirisme qui refuse éperdument de regarder la Vérité en face.
Car "Le Tambour" raconte, sous forme d'une fable qui flirte ouvertement avec l'absurde et le non-sense, le refus d'une certaine Allemagne de regarder la Vérité en face alors que cet acte, si elle l'avait accompli, l'aurait peut-être sauvée. Mais, tout comme Oscar, le héros du livre, c'est volontairement que l'Allemagne a choisi l'incapacité et une forme de passivité sous le grand vent de l'Histoire qui devait lui coûter pendant de longues années la moitié de son territoire d'avant-guerre.
Tel est, en tous cas (et à ce qu'il nous a semblé, bien sûr
), le propos de Günter Grass dans ce livre qui, en 1959, le "lança" définitivement sur la scène littéraire allemande mais aussi européenne et même mondiale.Raconter "Le Tambour" est chose impossible. Qui oserait se substituer à Oscar, bébé d'une précocité telle qu'il décide, à trois ans, de ne plus grandir et, pour expliquer aux adultes ce défaut de croissance, imagine une chute débaroulante dans l'escalier menant à la réserve de boîtes de conserve de son père officiel, l'épicier Matzerath ? IIIème Reich ou pas, guerre ou pas, défaite ou pas, Oscar ne renonce jamais à son statut de narrateur quasi omniscient. C'est son histoire à lui que prétend raconter contre vents et marées cet égocentrique, si dégoûté par tout ce qu'il contemple à l'extérieur (sauf sa mère, peut-être) qu'il préfère le plus souvent ne communiquer avec autrui que par les roulements de son éternel tambour en fer-blanc décoré de rouge.
Que cette histoire mouvementée, qui évoque plus d'une fois un film mélangeant allègrement des vues expressionnistes à la Caligari à celles, outrées, provocantes, choquantes et géniales d'un Fellini, suive la voie empruntée en Allemagne par tous ceux qui fermèrent les yeux dans l'espoir qu'ils pourraient ainsi continuer à avancer dans la boue et le sang sans se salir le moindre brin d'âme et de mémoire, Oscar ne le reconnaîtra jamais. De temps à autre pourtant, il glisse une phrase ironique sur le bonheur qu'il éprouvait à aller fausser de ses notes tambourinantes les hymnes nationaux-socialistes, ou une allusion guindée, qui se refuse elle aussi à penser trop loin, au sort qui aurait été le sien si son père avait accepté, dans les jours apocalyptiques de la fin du conflit, de le confier aux autorités médicales nazies. Mais c'est tout.
Spectateur indifférent et passif en apparence, Oscar est en fait un survivant avisé qui, au prix d'une vie marginalisée, tronquée même à dessein, a traversé sans trop de soucis un demi-siècle qui fut pour son pays un véritable enfer de misère, de doutes et d'horreur. Doit-on l'admirer pour le génie avec lequel il a su se maintenir "au-dessus de la mêlée" ? Ou n'a-t-il droit qu'à notre mépris pour sa lâcheté et sa fuite constante, acharnée devant les responsabilités ? Qu'il termine ses jours dans une institution psychiatrique ne signifie rien en soi puisqu'il y a été placé non pas en raison des bizarreries passées et présentes de son surprenant parcours mais parce qu'il a commis un meurtre et conservé de la chose un macabre trophée. Jugé irresponsable pour le meurtre qu'il a bel et bien commis, Oscar l'est-il pour tous ceux sur lesquels, par la force des choses et par la seule volonté de se préserver de l'extérieur, il a fermé les yeux ?
Roman touffu mais jubilatoire, qui recèle, sous sa poésie, son ironie et l'absurdité de certaines situations imaginées par l'auteur, une réflexion authentique sur la lâcheté et sur le degré de déresponsabilisation volontaire qu'elle implique, "Le Tambour" est d'une lecture beaucoup moins facile qu'il n'y paraît. C'est cela qu'il faut garder à l'esprit quand on s'y enfonce pour la première fois et que, par conséquent, il réclame énormément de la part de son lecteur.