Route d’Inniskeen, soir de juillet
Les cyclistes s’en vont par deux ou trois –
Ce soir il y a bal dans la grange de Billy Brennan,
Il y a le langage à demi prononcé des mystères
Et la complicité délicieuse des clins d’œil et des coups de coude.
Huit heures et demie et il n’y a pas une tache
Sur une lieue de route, ni même une ombre portée
Qui révèle homme ou femme, pas un
Pas révélant des secrets de pierre.
Je possède ce que tout poète hait en dépit
Des discours solennels sur la contemplation.
Oh, Alexander Selkirk connaissait bien la condition
D’être à la fois roi, gouvernement et nation.
Une route, un royaume d’une lieue. Je suis roi
Des talus, de la pierraille, et de tout ce qui fleurit.
The bicycles go by in twos and threes -
There's a dance in Billy Brennan's barn tonight,
And there's the half-talk code of mysteries
And the wink-and-elbow language of delight.
Half-past eight and there is not a spot
Upon a mile of road, no shadow thrown
That might turn out a man or woman, not
A footfall tapping secrecies of stone.
I have what every poet hates in spite
Of all the solemn talk of contemplation.
Oh, Alexander Selkirk knew the plight
Of being king and government and nation.
A road, a mile of kingdom. I am king
Of banks and stones and every blooming thing.
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Shancoduff
Mes collines noires n’ont jamais vu se lever le soleil,
Éternellement elles fixent le nord vers Armagh.
L’épouse de Loth ne se serait jamais changée en sel si elle avait
Été aussi peu curieuse que mes collines noires toutes réjouies
Lorsque l’aube blanchit la chapelle de Glassdrummond.
Mes collines accaparent les clairs shillings de mars
Tandis que le soleil fouille toutes les poches.
Elles sont mes Alpes et j’ai gravi le Cervin
Avec une botte de foin pour trois veaux agonisant
Dans le champ sous le Grand Fort de Rocksavage.
Les vents mêlés de neige caressent les flancs hirsutes de Shancoduff
Tandis que les bouviers cachés dans les fourrés de Featherna
Lèvent les yeux et disent : « Qui donc les possède, ces collines de famine,
Pour que la poule d’eau et la bécassine des marais aient dû les fuir ?
Un poète ? Alors par tous les cieux il doit être pauvre ! »
J’entends et mon cœur n’en est-il pas durement éprouvé ?
My black hills have never seen the sun rising,
Eternally they look north towards Armagh.
Lot's wife would not be salt if she had been
Incurious as my black hills that are happy
When dawn whitens Glassdrummond chapel.
My hills hoard the bright shillings of March
While the sun searches in every pocket.
They are my Alps and I have climbed the Matterhorn
With a sheaf of hay for three perishing calves
In the field under the Big Forth of Rocksavage.
The sleety winds fondle the rushy beards of Shancoduff
While the cattle-drovers sheltering in the Featherna Bush
Look up and say: "Who owns them hungry hills
That the water-hen and snipe must have forsaken?
A poet? Then by heavens he must be poor."
I hear, and is my heart not badly shaken?
Patrick Kavanagh (Irlande, 1904-1967), trad. Paul Le Jéloux, in Anthologie de la poésie irlandaise du XXe siècle, Verdier, 1996
[choix de Jean-Pascal Dubost]
Bio-bibliographie de Patrick Kavanagh