L’inspecteur londonien d’époque victorienne Thomas Pitt est désormais à la Special Branch, cette police secrète qui enquête pour le gouvernement sur les affaires délicates. Justement, un ministre est pris avec sa maîtresse en train de transporter un cadavre dans un jardin de villa, à 3 h du matin. Il n’est pas inutile de préciser que ladite maîtresse est Egyptienne et que le pistolet retrouvé à côté du cadavre est le sien. Pas inutile non plus d’ajouter que le corps est celui d’un jeune diplomate, ex-officier bien noté qui a servi en Egypte et qui fut l’amant de cette femme.
Comme chez dame Agatha, tous les éléments de l’intrigue sont en place et c’est aux petites cellules grises de s’activer. Pas simple, d’autant que l’enquête de Pitt se heurte systématiquement à des impasses. Le ministre ? Complice mais a posteriori, par amour. L’Egyptienne ? Elle nie avoir tué, aurait eu bien d’autres moyens plus discrets et plus efficaces de contrer les avances renouvelées du jeune diplomate, probablement innocente. Son majordome ? N’a rien vu, rien entendu, déclare-t-il. Et jusqu’à la moitié du livre, on tourne en rond.
Occasion se remettre le lecteur dans l’ambiance victorienne. L’auteur prend plaisir à décrire les gamins délurés vendeurs de journaux, fagotés comme Oliver Twist. Elle vous apprend comment traiter une tache de graisse sur une veste sans l’abîmer, avec du pied de mouton réduit en poudre. Elle se délecte aux réparties vachardes de la bonne société où les convenances sont tout et où une réputation se crée ou se perd sur un mot d’esprit. Elle détaille la couleur et le satin des robes, comment il doit se marier avec les rangs de perles ou le diadème de diamants. Elle précise que nulle femme qui se respecte ne doit sortir sans quelque chose sur la tête : châle pour les pauvresses, bonnet pour les servantes, chapeau extravagant à plume d’autruche pour les dames du monde.
Mais pas seulement : l’enquête a une portée géopolitique en cette époque d’empire. Le ministre est aussi député de Manchester où les fabriques de tissus en coton sont agitées. La Grande-Bretagne occupe l’Egypte pour garder ouverte la route des Indes par le canal de Suez. Egypte qu’elle a ruinée en concurrençant ses cotonnades. Un sourd nationalisme, mâtiné d’intégrisme religieux, irrigue la population du Caire et d’Alexandrie. Il ne faudrait qu’un prétexte de rien pour mettre le feu aux poudres et chasser les Anglais. Au fait : quelqu’un aurait-il intérêt à mouiller un ministre pour libérer son pays ?
Pitt est envoyé enquêter en Egypte. Il doit apprendre qui était Ayesha l’Egyptienne. Il doit savoir comment la victime, l’ex-lieutenant Lovat, s’est comporté lors de son service dans le pays. Chou blanc ? En apparence… Car les fils de la trame se mettent en place peu à peu, des indices convergents sont livrés au lecteur qui commence à comprendre. Mais commence seulement : la clé de l’énigme, dans les ultimes pages, va surprendre ! Rien n’est jamais comme on croit et la révélation est digne d’une énigme Agatha.
Anne Perry, Seven Dials, 2003, 10/18 2007, 349 pages