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Amable TASTU : L’Ange gardien

Publié le 25 janvier 2012 par Unpeudetao

Oh ! qu’il est beau, cet esprit immortel,
Gardien sacré de notre destinée !
Des fleurs d’Éden sa tête est couronnée,
Il resplendit de l’éclat éternel.
Dès le berceau sa voix mystérieuse,
Des voeux confus d’une âme ambitieuse,
Sait réprimer l’impétueuse ardeur,
Et d’âge en âge il nous guide au bonheur.

L’ENFANT

Dans cette vie obscure, à mes regards voilée,
Quel destin m’est promis ? à quoi suis-je appelée ?
Avide d’un espoir qu’à peine j’entrevois,
Mon coeur voudrait franchir plus de jours à la fois !
Si la nuit règne aux cieux, une ardente insomnie
À ce coeur inquiet révèle son génie :
Mes compagnes en vain m’appellent, et ma main
De la main qui l’attend s’éloigne avec dédain.

L’ANGE

Crains, jeune enfant, la tristesse sauvage
Dont ton orgueil subit la vaine loi.
Loin de les fuir, cours aux jeux de ton âge ;
Jouis des biens que le ciel fit pour toi :
Aux doux ébats de l’innocente joie
N’oppose plus un front triste et rêveur ;
Sous l’oeil de Dieu suis ta riante voie,
Enfant, crois-moi, je conduis au bonheur.

LA JEUNE FILLE

Quel immense horizon devant moi se révèle !
À mes regards ravis que la nature est belle !
Tout ce que sent mon âme ou qu’embrassent mes yeux
S’exhale de ma bouche en sons mélodieux !
Où courent ces rivaux armés du luth sonore ?
Dans cette arène il est quelques places encore ;
Ne puis-je, à leurs côtés me frayant un chemin,
M’élancer seule, libre, et ma lyre à la main ?

L’ANGE

Seule couronne à ton front destinée,
Déjà blanchit la fleur de l’oranger ;
D’un saint devoir doucement enchaînée,
Que ferais-tu d’un espoir mensonger ?
Loin des sentiers dont la main te repousse,
Ne pleure pas un dangereux honneur,
Suis une route et plus humble et plus douce
Vierge, crois-moi, je conduis au bonheur.

LA FEMME

Oh ! laissez-moi charmer les heures solitaires ;
Sur ce luth ignoré laissez errer mes doigts,
Laissez naître et mourir ses notes passagères
Comme les sons plaintifs d’un écho dans les bois.
Je ne demande rien aux brillantes demeures,
Des plaisirs fastueux inconstant univers ;
Loin du monde et du bruit, laissez couler mes heures
Avec ces doux accords à mon repos si chers.

L’ANGE

As-tu réglé, dans ton modeste empire,
Tous les travaux, les repas, les loisirs ?
Tu peux accorder à ta lyre
Quelques instants ravis à tes plaisirs.
Le rossignol élève sa voix pure,
Mais dans le nid du nocturne chanteur
Est le repos, l’abri, la nourriture…
Femme, crois-moi, je conduis au bonheur.

LA MÈRE

Revenez, revenez, songes de ma jeunesse ;
Éclatez, nobles chants ; lyre, réveillez-vous !
Je puis forcer la gloire à tenir sa promesse ;
Recueillis pour mon fils, ses lauriers seront doux.
Oui, je veux à ses pas aplanir la carrière,
À son nom, jeune encore, offrir l’appui du mien.
Pour le conduire au but y toucher la première,
Et tenter l’avenir pour assurer le sien.

L’ANGE

Vois ce berceau, ton enfant y repose ;
Tes chants hardis vont troubler son sommeil ;
T’éloignes-tu ? Ton absence l’expose
À te chercher en vain à son réveil.
Si tu frémis pour son naissant voyage,
De sa jeune âme exerce la vigueur :
Voilà ton but, ton espoir, ton ouvrage.
Mère, crois-moi, je conduis au bonheur.

LA VIEILLE FEMME

L’hiver sur mes cheveux étend sa main glacée ;
Il est donc vrai ! mes voeux n’ont pu vous arrêter,
Jours rapides ! et vous, pourquoi donc me quitter,
Rêves harmonieux qu’enfantait ma pensée ?
Hélas ! sans la toucher, j’ai laissé se flétrir
La palme qui m’offrait un verdoyant feuillage,
Et ce feu qu’attendait le phare du rivage,
Dans un foyer obscur je l’ai laissé mourir.

L’ANGE

Ce feu sacré, renfermé dans ton âme,
S’y consumait loin des profanes yeux ;
Comme l’encens offert dans les saints lieux,
Quelques parfums ont seuls trahi sa flamme.
D’un art heureux tu connus la douceur,
Sans t’égarer sur les pas de la gloire ;
Jouis en paix d’une telle mémoire ;
Femme, crois-moi, je conduis au bonheur.

LA MOURANTE

Je sens pâlir mon front, et ma voix presque éteinte
Salue en expirant l’approche du trépas.
D’une innocente vie on peut sortir sans crainte,
Et mon céleste ami ne m’abandonne pas.
Mais, quoi ! ne rien laisser après moi de moi-même !
Briller, trembler, mourir comme un triste flambeau !
Ne pas léguer du moins mes chants à ceux que j’aime,
Un souvenir au monde, un nom à mon tombeau !

L’ANGE

Il luit pour toi, le jour de la promesse,
Au port sacré je te dépose enfin,
Et près des cieux ta coupable faiblesse
Pleure un vain nom dans un monde plus vain.
La tombe attend tes dépouilles mortelles,
L’oubli, tes chants ; mais l’âme est au Seigneur,
L’heure est venue, entends frémir mes ailes :
Viens, suis mon vol, je conduis au bonheur !

Amable TASTU (1798-1885).

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