Petit, je n’aimais déjà pas le cirque.
Avec le temps, ma position n’a pas évolué. Chaque année, à la même période, un cirque miteux posait son unique tente sur la place du village, sortait son chameau centenaire, ses chèvres, ses chiens et donnait l’occasion à sa troupe familiale composée de quelques membres d’enfin se dégourdir les jambes après les kilomètres avalés.
J’ai toujours trouvé ce spectacle (l’installation du chapiteau est un vrai spectacle en soi pour qui prend le temps de regarder) pitoyable et sans réel intérêt. La peinture des deux uniques camions de la troupe se désunissait un peu plus chaque année laissant place à une rouille tenace qui semblait également s’insinuer dans les rides de chaque membre. Ces gens devaient être artistes de cirque par contrainte, comme ces héritages familiaux dont on ne peut refuser la transmission. Ils auraient certainement préféré laisser libre cours à leurs envies d’une vie autre; c’est ce que leurs visages tristes et leurs corps fatigués semblaient dire en tout cas.
La ménagerie (attraction principale de tout cirque de province, surtout les lions, tigres, éléphants et moins les chèvres quand même) avait largement perdu du poil de la bête et ressemblait plus à un meeting folklorique visant à dénoncer les méfaits commis par je ne sais quel laboratoire pharmaceutique (je ne porte pas de crème de jour, j’aborde donc le problème avec sérénité).
Petit je n’aimais pas le cirque et j’en voulais presque à certains de cautionner cette activité en y allant (et la maltraitance des animaux par la même occasion).
Je n’avais évidemment pas compris que ces troupes ambulantes éprises de liberté exerçaient peut-être un art ancestral, avec les moyens dont elles disposaient et en famille. Je n’avais pas compris non plus que le cirque n’est pas que ces spectacles surannés mais peut se muer en une représentation magique.
Des années après (grand et fort je suis devenu mais surtout plus mature et réfléchi je crois) m’a été offerte une occasion unique de vérifier à quel point mon avis sur la question était erroné. Je travaillais à cette époque pour une grande société (de celles qui ne se meuvent que par décisions d’actionnaires) dont la méthode principale de management consistait à offrir un beau voyage (sous couvert de séjours professionnels naturellement, les agents du fisc sont nos amis) à ses cadres les plus valeureux (ceux qui rapportent beaucoup donc, au mépris de nombreuses valeurs).
C’était il y a 10 ans je crois (je suis si différent aujourd’hui que j’aurais pu écrire cent ans, mille ans, une éternité).
Nous sommes donc invités pour un voyage de dix jours aux Etats-Unis, répartis entre Los Angeles et Las Vegas. Tout y est somptueux, des hôtels aux restaurants, des visites privilégiées (Disneyland n’a pas fermé ses portes pour nous mais presque) à la météo (je ne crois pas que ce point ait été négocié par l’agence). De ces séjours dont on se rappelle, même un siècle plus tard. Arrivés à Las Vegas, notre unique objectif était le siège qui allait accueillir chaleureusement notre séant, nous débarrassant par la même occasion du budget que chacun s’était autorisé. Pas du tout nous à fait savoir le chef, un tout autre programme vous a été concocté avec dîner au sommet du plus haut bâtiment de Las Vegas suivi d’un spectacle. Notre liberté s’arrêtant là où les recommandations du boss se transforment en directives, nous avons collectivement opiné du chef, validant donc cette excellente proposition (en vrai, on râlait mais sans rien dire laissant nos regards trahir notre profond courroux (on a donc fermé nos gueules), il nous éloignait de notre objectif de boisson alcoolisée et de jeu outrageusement truqué).
Le repas, je m’en souviens parfaitement, était quelconque et sans rapport avec la vue époustouflante du strip illuminé. Bien sûr trop long, évidemment perfectible en matière de thèmes abordés lors des conversations imposées avec ce voisin de table que vous n’avez pas choisi, le repas était donc chiant. Je savais qu’en plus, le spectacle qui s’en suivrait serait du même goût avec plumes roses et filles à jambes levées, une soirée pour nous les hommes, façon Vrp à défaut d’être Vip. Le boss coupa court à mon imagination débordante (je suis très imaginatif en matière de soirée surprise, tout le monde sait ça) en annonçant avec fierté que nous allions voir un spectacle du Cirque du Soleil intitulé O.
Mais moi, je n’aime pas le cirque.
A suivre …