La carte de l’ISF révèle la séparation entre riches et pauvres
Lors de son meeting au Bourget, François Hollande a condamné la “nouvelle aristocratie” des Français situés parmi le 1 % des plus hauts revenus. “Ils vivent à côté de nous mais ils ne vivent déjà plus avec nous. Parfois, ils ne vivent même pas chez nous”, a-t-il dit. Parlant ensuite de “sécession sociale”, il a décrit des “quartiers protégés, sécurisés, pour que nul ne vienne déranger”.
Le séparatisme dénoncé par François Hollande peut être mis en lumière par l’analyse de la répartition de l’ISF ou celle des revenus fiscaux des ménages par commune. Pauvres et riches n’habitent pas les mêmes quartiers, ni les mêmes villes.
Plusieurs sociologues se sont penchés, récemment, sur cette absence de mixité sociale et tentent d’identifier les causes de cet “évitement” entre riches et pauvres, voire très riches et moins riches, de même que les stratégies que les riches emploient pour s’éloigner des moins bien lotis.
“GRÉGARISME DE LA BOURGEOISIE”
Niveau de l’impôt sur la fortune dans les plus grandes communes de la région parisienne en 2009Le Monde.fr – DGI
La répartition des ménages redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) illustre le phénomène que Christophe Guilluy nomme “grégarisme de la bourgeoisie” dans son livre, Fractures françaises (François Bourin, 19 euros). On constate que c’est dans les grandes villes que vivent le plus de ménages acquittant l’ISF, ce qui correspond, selon le géographe, à une “bourgeoisie traditionnelle”, née avec la révolution industrielle.
La Direction générale des finances publiques (DGFiP) met à disposition du public le nombre de redevables de l’ISF par commune. Pour des raisons de confidentialité, les chiffres donnés par la DGFiP ne concernent que les villes de plus de 20 000 habitants, où plus de 50 personnes sont imposables de l’ISF; ils représentent plus de la moitié des contribuables soumis à cet impôt.
Le Monde.fr a fait une carte de ces villes, permettant à chacun de trouver près de chez lui le nombre de redevables à l’ISF, ainsi que l’impôt net moyen payé.
Naviguez dans la carte ci-dessous pour découvrir ces villes. Saviez-vous qu’il y avait 53 ménages acquittant l’ISF à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, commune plus connue pour sa cité des Quatre-Mille ? Que les villes où l’ISF moyen net est le plus fort sont Neuilly-sur-Seine, Paris, puis Croix, ville du Nord qui accueille la famille Mulliez ?
Impôt sur la fortune moyen:
• entre 2000 et 6 000 euros | • entre 6 000 et 11 000 euros | • entre 11 000 et 15 000 euros | • entre 15 000 et 20 000 euros | • plus de 20 000 euros
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“L’ENTRE-SOI” DES PETITS VILLAGES
Plus que l’ISF, continue M. Guilluy, ce sont les niveaux de revenus qui permettent désormais de distinguer de nouveaux territoires “riches”. Voulant rompre avec les clichés, il explique que “le grégarisme social ne s’organise pas forcément autour des lotissements sécurisés”, fermés par des grilles et parfois surveillés par des entreprises privées.
C’est souvent dans des “petits villages autour des grandes villes” que se concentrent les riches, créant un “nouveau système en prise avec la mondialisation et la métropolisation”. Le géographe voit dans ce choix d’investir les villages comme une stratégie d’évitement, notamment de la loi SRU, qui ne concerne que les communes de 3 500 habitants et leur permet donc de garder un “entre-soi”.
En région parisienne, l’exemple est assez intéressant. Mis à part les communes connues pour abriter des riches, telles Neuilly-sur-Seine ou le 16e arrondissement de Paris, de nombreuses communes ont des revenus fiscaux par ménage très élevés. Le revenu fiscal des ménages est la somme des ressources mentionnées dans la déclaration des revenus.
Dans la carte réalisée du revenu fiscal des ménages médian pour 2009, vous pouvez voir les villages concernés, petites taches rouge sombre, comme Marnes-la-Coquette ou Le Vésinet dans les Yvelines.
Le revenu fiscal des ménages médian par commune en région parisienne en 2009Le Monde.fr – INSEE
>> Lire à ce sujet “Bienvenue chez les riches“, un reportage pour M, le magazine du Monde, à Marnes-la-Coquette
En plus grand format, cette carte montre bien, autour des grandes villes, des agglomérations divisées entre les villes plus ou moins riches (identifiables par les couronnes orange foncé) ainsi que des villes encore plus riches (identifiables par des zones rouge foncé). On peut également noter la présence de villes très riches autour du lac Léman et de l’agglomération genevoise.
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“SÉPARATISME RÉSIDENTIEL”
“Chacun met son ‘pauvre’ à distance” : dans Les nouvelles classes moyennes (Seuil, 11,50 euros), Dominique Goux, sociologue, et Eric Maurin, économiste, s’intéressent également aux disparités régionales entre classes. En étudiant le revenu au niveau des zones cadastrales données par l’Insee, les deux auteurs ont découvert ainsi que les ménages les plus riches habitent des zones où ils côtoient deux fois plus de “riches” que de “pauvres”. Et que les “très riches” vivent dans des quartiers ou les “riches” sont presque trois fois plus nombreux que les “pauvres”. “Les clivages territoriaux sont perceptibles à tous les niveaux de la société”, concluent-ils.
La situation est comparable au niveau des classes moyennes. Mme Goux et M. Maurin observent que les mêmes différences sont notables entre les classes moyennes supérieures et les classes moyennes inférieures. Les deux auteurs soulignent que, si le séparatisme en fonction des revenus concerne tout le monde, les riches et les très riches ont plus de ressources pour le mettre en place.
Alexandre Léchenet
La carte de l’ISF révèle la séparation entre riches et pauvres – LeMonde.fr.